Kiev: les forces de l’ordre à l’assaut de Maïdan

A Kiev, la place de l’Indépendance, occupée depuis trois mois par les opposants au gouvernement, est prise d’assaut par la police anti-émeute depuis hier soir. Au moins 20 personnes ont été tuées, dont six policiers. Le président Viktor Ianoukovitch l’affirme : la police ira jusqu'au bout.

La place de l'Indépendance à Kiev s'est transformée en un véritable champ de bataille. Les forces de l'ordre avaient déjà tenté de déloger les manifestants trois fois au cours des trois derniers mois. Cette fois, elles y ont mis les moyens. On estime qu'environ 10 000 policiers sont mobilisés dans la capitale. Ils se sont heurtés à une résistance farouche des protestataires.

Mais qu'à cela ne tienne, toutes les annonces des autorités concordent : il faut en finir, l'heure n'est plus aux négociations. Le président Ianoukovitch juge que l'opposition a « franchi les limites » et l'accuse de « tentative de prise de pouvoir » anticonstitutionnelle. Les coupables seront « jugés », annonce-t-il.

Le casque sur la tête et le masque médical sur le visage, Serhiy est un jeune manifestant de 26 ans, qui s'avoue très pessimiste. « Malheureusement, je crois que ce n'est que le début de la répression. D'après ce que je comprends, Ianoukovitch a une réponse tout à fait inadéquate à la situation. Je crains qu'il ne faille s'attendre au pire d'ici au matin », confie-t-il à notre correspondant à Kiev, Sébastien Gobert.

Quand on sort de la place de l'Indépendance, les rues avoisinantes sont calmes. Mais l'anxiété est palpable partout, car une sorte d'état d'urgence semble régner dans la capitale ukrainienne. Le métro ne fonctionnera pas avant que les troubles soient terminés, les principales routes de la ville sont bloquées par la police, des dizaines de rues sont privées d'éclairage public et des bandes d'agitateurs sèment la terreur. Plusieurs villes de l'ouest du pays se sont ouvertement soulevées. Quelle que soit l'issue des affrontements, quel qu'en soit le bilan final, il semble clair en Ukraine qu'il n'est plus possible de faire marche arrière.

Grenades assourdissantes contre cocktaïls Molotov

C’est aux alentours de 18h TU mardi 18 février que les forces anti-émeute ont investi la place. De la tribune, l’un des chefs de file de l'opposition ukrainienne, Vitali Klitschko avait au préalable appelé les femmes et les enfants à quitter les lieux « pour éviter, dit-il, de nouvelles victimes ». Femmes et enfants constituent la majorité des quelques dizaines de milliers de manifestants présents sur la place.

Précédés de trois véhicules blindés équipés de canons à eau, plusieurs centaines de Berkout, les redoutables policiers anti-émeute, ont commencé à progresser vers la place du Maïdan, dépassant plusieurs barricades dressées en vain pour les arrêter par quelques centaines d'hommes casqués, armés de bâtons et de boucliers. Mais le rapport de force est bien déséquilibré. D'autres policiers, équipés de fusils d'assaut Kalachnikov, étaient stationnés en seconde ligne.

Un lourd bilan

Les policiers ont utilisé des grenades lacrymogènes et assourdissantes, ainsi que des canons à eau, pour faire reculer les manifestants qui ripostaient à l'aide de pavés et de cocktails Molotov. Derrière eux, plusieurs milliers de manifestants ont entonné l'hymne national ukrainien. « Nous ne reculerons pas, nous n'avons pas peur, nous resterons sur la place, soudés », a lancé l'opposant Arséni Iatséniuk, un proche de Ioulia Timochenko.

Le Parlement doit se pencher sur la nomination d'un nouveau Premier ministre et sur le projet de réforme constitutionnelle qui réduit les pouvoirs du président. L'opposition s'impatiente après presque trois mois de crise politique.

Plusieurs personnes dont des policiers ont trouvé la mort dans ces affrontements. Au moins 150 manifestants ont été blessés dont 30 sérieusement atteints et acheminés à l'arrière du front, selon des services médicaux de l'opposition. Un manifestant a eu la main amputée, d'autres souffrent de traumatismes crâniens et de blessures aux bras et aux jambes dûs principalement aux grenades assourdissantes. La police a fait état de 37 blessés dans ses rang. Dans un bilan fourni ce mercredi matin le ministère de l'Intérieur ukrainien annonce la mort de 25 personnes dans les affrontements et 241 personnes hospitalisées dont 79 policiers et cinq journalistes.

Condamnations de la communauté internationale

La Russie a estimé que l’Ukraine se trouvait au bord de la « guerre civile », tout en accusant l’Occident d’en être responsable. Washington a fermement « condamné les violences de rues et le recours excessif à la force des deux côtés », en ajoutant que « cela ne résoudra pas la crise ».

Le Premier ministre polonais Donald Tusk s’est déclaré lui aussi très préoccupé par « une accélération négative » en Ukraine voisine, aussi bien du côté du pouvoir que de l’opposition. Il s’est dit prudent quant aux éventuelles sanctions européennes envers le pouvoir ukrainien.

En revanche, le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, a clairement menacé les dirigeants ukrainiens de « sanctions personnelles » de l’Union européenne. Son homologue français Laurent Fabius a dénoncé « un usage indiscriminé de la force » et a appelé l’ensemble des parties à reprendre immédiatement le dialogue. Des appels semblables ont été lancés par le secrétaire général de l’Otan et par la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton.

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