Article mis à jour avec notre correspondante à Rome, Anne Le Nir
C’est l’histoire d’une ascension fulgurante. En quelques mois, le jeune maire de Florence, âgé de 39 ans, aura ravi coup sur coup la présidence du Parti démocrate et (sauf coup de théâtre) la présidence du Conseil. Matteo Renzi reprochait à Enrico Letta son manque de détermination et sa lenteur dans l’action gouvernementale.
Les tensions entre les deux hommes avaient pris une telle ampleur ces dernières semaines qu'elles menaçaient l'exécutif de paralysie. Elles ont débouché sur une crise politique dont l'Italie est familière. « C'est une sorte de cuisine interne que l'Italie connaît bien malheureusement, décrypte le politologue Giuseppe Bettoni. Je ne crois pas que cette fracture est prête à guérir, c'est ça l'élément le plus inquiétant. »
Devant les cadres du Parti démocrate, Matteo Renzi a dit qu'il souhaitait passer à une nouvelle phase, avec un nouveau gouvernement soutenu par la majorité actuelle. Mais le risque existe de voir la coalition gauche-droite au pouvoir remise en cause par cette révolution de palais.
« Il a quand même utilisé une carte très dangereuse, estime Giuseppe Bettoni. Il avait garanti qu'il n'était absolument pas intéressé par ce type de remaniement ministériel. Avant-hier, il assurait qu'il n'aurait pas voulu monter un nouveau gouvernement. Pourtant, aujourd'hui, il fait l'inverse et ça, même au sein du Parti démocrate, on lui fera remarquer. »
L'échec d'Enrico Letta
Ce qui est reproché à Enrico Letta, c’est de ne pas avoir réalisé des réformes annoncées comme prioritaires au mois d’avril 2013 : allègement de la bureaucratie, relance de l’emploi, surtout chez les jeunes (plus de 40 % des 15-24 ans sont sans emploi) et relance de l’économie, notamment à travers des mesures pour diminuer les charges fiscales des entreprises.
Ce qui lui est aussi reproché, c’est de ne pas avoir sélectionné les meilleurs ministres possibles afin d’être entouré d’une équipe très dynamique, très performante, sachant que l’Italie traverse une crise aussi grave.
Ce vendredi matin, Enrico Letta tenait son dernier Conseil des ministres. Il a ensuite présenté sa démission au président de la République, qui l'a acceptée. Encore une fois, toutes les cartes pour tenter de sortir de la crise politique sont désormais entre les mains de ce dernier, Giorgio Napolitano, qui a entamé ses consultations avec les représentants des principaux partis. L'occasion pour Silvio Berlusconi d'un retour en piste, via Forza Italia.
Giorgio Napolitano a déjà reçu la présidente de la Chambre des députés et le président du Sénat, et il recevra ce samedi les délégations des partis politiques. En fait, c’est une véritable course contre la montre qui est en cours, compte tenu de la situation économique et sociale de l’Italie, qui exige des réformes urgentes. Le président achèvera ses consultations au plus tard dans la soirée de samedi. L’objectif étant de vérifier s’il y a un consensus suffisant pour que Matteo Renzi puisse demander la confiance du Parlement dès lundi.
Pour l’heure, ce que l’on sait avec certitude, c’est qu’aucun représentant du Mouvement 5 étoiles ne se rendra au palais du Quirinal. Son chef Beppe Grillo estime « inacceptable » le fait que Silvio Berlusconi, condamné définitivement pour fraudes fiscales, puisse s'entretenir avec le président de la République. Un Beppe Grillo plus enragé que jamais, qui qualifie Matteo Renzi de carriériste sans scrupules.
Les contraintes auxquelles a été soumis Enrico Letta, Matteo Renzi va donc devoir y faire face aussi : il devra trouver des compromis avec la droite, et faire face à une opposition musclée, en particulier au Mouvement 5 étoiles donc, résolument en faveur d’un retour aux urnes. Sur ce dernier point, il pourra toutefois compter sur l'appui de Giorgio Napolitano, pour qui il n'est pas question de revoter, surtout en l'absence de la nouvelle loi électorale tant attendue.
Matteo Renzi, le conquérant
Tout le monde s'accorde à dire, en Italie, que le Premier ministre sera bel et bien Matteo Renzi. Le jeune maire de Florence n'a jamais caché son ambition de devenir Premier ministre, malgré un pacte noué avec Enrico Letta pour une poursuite de l’action du gouvernement de ce dernier jusqu’au moins la fin 2014.
Son offensive décisive s’est passée en deux temps. Mercredi 12 février, il a relégué le programme d’Enrico Letta pour relancer son gouvernement au rang de simple « contribution ». Jeudi, le Parti démocrate a réclamé, à une écrasante majorité, un changement de gouvernement.
Avec son apparence de gendre parfait, le probable futur Premier ministre italien arrive à séduire à gauche comme à droite, jusqu'à Silvio Berlusconi, semble-t-il, auquel il ressemble - c'est du moins ce que disent ses détracteurs, dont certains l'ont surnommé « Renzusconi ». Il y a peu, Matteo Renzi bénéficiait de 54% d'opinions favorables dans le pays.
L’Italie est enfoncée depuis deux ans dans la plus grave crise économique de l’après-guerre et Matteo Renzi n’a jusqu’à présent pas expliqué comment il compte trouver l’argent pour relancer l’économie italienne, réduire la bureaucratie, abaisser la lourde fiscalité sur les entreprises et relancer le marché du travail.
■ ZOOM : Renzi, grand favori des médias transalpins
L’ensemble des médias italiens donne pour acquis le fait que Matteo Renzi, 39 ans, sera officiellement chargé par le président de la République de former un nouvel exécutif au plus tard demain de manière à ce qu’il présente son équipe gouvernementale et son programme au Parlement dès lundi.
Le vote de confiance, qui est évidement un passage obligatoire, devrait se tenir en début de semaine prochaine. Alors, évidement, selon leurs habitudes, les grands quotidiens nationaux jouent au « Toto ministri », au loto des ministres. Le quotidien de gauche, La Repubblica, affirme que l’équipe de Matteo Renzi sera composée d’une vingtaine de ministres dont une majorité de femmes. Il Corriere della Sera, proche des pouvoirs financiers, s’interroge sur le nom des ministres les plus importants, notamment de celui ou de celle de l’Economie, et il cite la brillante économiste Lucrezia Reichlin.
Le quotidien économique, Il Sole 24 Ore, assure, lui, que l’emploi, les impôts et le développement économique seront les trois thèmes qui figureront en tête de liste du programme du gouvernement du secrétaire du Parti démocrate Matteo Renzi qui, hier, a pratiquement fait ses adieux à Florence en tant que maire.