RFI : Rien n’a filtré de cet entretien entre les présidents russe et ukrainien mais l’Ukraine attend toujours la suite de l’aide économique promise par Moscou. Où en est-on de ce plan de sauvetage économique ?
Philippe de Suremain : Pour le moment, on n’en sait pas grand-chose. Comme vous le disiez, les échanges qui ont eu lieu entre les deux présidents n’ont donné lieu à aucun écho extérieur. Pour l’Ukraine, elle est dans une situation extrêmement difficile. Elle est au bord de la faillite et cette aide est évidemment urgente.
Mais d’un autre côté, les autorités russes ont bien fait comprendre que cette aide n’était pas inconditionnelle et que tout dépendrait de l’orientation que prendrait le futur gouvernement. Et donc on est toujours dans une impasse.
L’Ukraine est bien mal en point d’un point de vue économique, vous le soulignez, certains disent même que le pays est au bord de la faillite. L’approvisionnement en gaz semble être au cœur des préoccupations ?
Pour la Russie c’est un enjeu majeur parce qu’elle souhaite pouvoir contrôler le transit du gazier vers l’Europe occidentale, son principal client. Et d’un autre côté, l’Ukraine est fortement endettée. Elle a une dette gazière qu’elle n’arrive pas à éponger. Et donc il y a là une partie de bras de fer qui n’est pas inédite – on en a déjà vu plusieurs exemples par le passé – mais qui actuellement pourrait prendre une tournure très dangereuse.
Et l’Ukraine représente-t-elle un enjeu économique important pour la Russie ?
Bien sûr ! D’une part, c’est d’abord un enjeu, il faut bien le reconnaître, pour l’Ukraine. Parce que la Russie est son principal client, il y a une très forte pression économique dont elle est l’objet, et en particulier les contrôles douaniers qui limitent les exportations et la mettent en situation très difficile.
Et l’Ukraine est potentiellement une puissance, et même future super puissance agricole, et c’est aussi une puissance industrielle. Donc pour la Russie c’est un enjeu non négligeable.
Mais qu’est-ce qui a fait choisir au président Ianoukovitch le plan de sauvetage de la Russie à la place de celui de l’Union européenne, par exemple ?
C’est vrai que cette volte-face a surpris tout le monde, les Ukrainiens au premier chef et aussi les Européens. Sans doute les Russes ont-ils été moins dépassés, puisqu’il y avait une très, très forte pression qui s’est exercée pendant tout l’été. Et le président Ianoukovitch au dernier moment a cédé à ces pressions. Etait-ce une décision qu’il anticipait ou qu’il a prise au dernier moment ? Ça, on ne le sait pas. Mais ça montre à quel point l’Ukraine est en difficulté sur le plan financier et économique.
La Russie met entre parenthèses pour le moment son aide économique à l’Ukraine. Quel est le scénario que craint Moscou d’un point de vue politique en Ukraine ?
L’enjeu est d’abord politique. Bien sûr, l’économie n’est pas négligeable dans cette affaire, mais pour la Russie et surtout pour le Kremlin, l’Ukraine représente un objectif prioritaire de sa politique. D’une part, le président Poutine a pour objectif de créer cette union eurasienne. Ils craignent en quelque sorte un contrepoids à l’Union européenne et ce projet n’est pas réalisable si l’Ukraine n’y est pas incluse.
Et jusqu’à présent, elle a tergiversé et c’est évidemment une orientation qui rencontre l’opposition d’une très grande partie de la population. C’est un enjeu de régime, si l’Ukraine réussissait à organiser une démocratie qui soit efficace, c’est évidemment un défi pour la verticale du pouvoir du président Poutine qui est difficilement supportable.
Pensez-vous que la Russie peut suspendre son aide à l’Ukraine ?
Ça, ce n’est pas une éventualité à complètement écarter. Beaucoup dépendra des évolutions dans les jours qui viennent. Mais là c’est un peu essayer de deviner ce qui va se passer à travers une boule de cristal plutôt dépolie.
Mais si les difficultés se poursuivent est-ce qu’un rapprochement avec l’Europe est de nouveau envisageable pour l’Ukraine, pensez-vous ?
Mais de toute façon l’offre est sur la table. Cet accord d‘association est toujours prêt à être signé. Et l’Ukraine doit prendre une décision extrêmement difficile, parce que quel que soit le choix qu’elle fera, ce sera un choix coûteux. Veut-elle suivre le modèle russe ? C’est évidemment peut-être à échéance immédiate la solution de facilité.
Mais si elle veut devenir la puissance régionale qu’elle a vocation d’être par sa situation géostratégique et par ses ressources, il lui faut suivre une autre méthode qui était celle qui a été suivie par exemple par la Pologne, un pays qui avait à peu près le même PIB en 1991. Et maintenant, le décalage est considérable et on voit bien que jusqu’à présent l’évolution suivie répondait à un mauvais choix.
Les troubles en Ukraine semblent atteindre à présent la partie est russophone de l’Ukraine. Est-ce que le mouvement de contestation peut encore grandir ?
Oui, il y a une réprobation de plus en plus forte et généralisée à travers tout le pays, qui vise tout particulièrement le président Ianoukovitch et sa famille. Il y a bien sûr, une aspiration à l’Europe, mais de manière parfois un peu diffuse. Mais la vraie préoccupation c’est de voir extirper cette corruption qui est le principal mal dont souffre l’Ukraine.