Florent Parmentier: l'opposition ukrainienne «ne représente qu’une partie des manifestants»

A Kiev, capitale ukrainienne, la situation est de plus en plus explosive entre les forces de l'ordre et les militants de l'opposition. Le mouvement se radicalise face à un gouvernement intraitable. Florent Parmentier, maître de conférence à Sciences Po Paris, évoque cette situation sur RFI.

RFI : La situation à laquelle on assiste en Ukraine était-elle prévisible ?

Florent Parmentier : On peut dire qu’elle était prévisible dans la mesure où l'on a une certaine exaspération de la foule présente sur Maïdan depuis une soixantaine de jours... qui n’a toujours eu aucun retour sur ses revendications.

Par ailleurs, l’événement de la semaine dernière, à savoir le vote d’un ensemble de lois radicales contre les manifestants, a poussé le mouvement à se radicaliser. Une exaspération, donc, depuis déjà deux mois, encore amplifiée la semaine dernière jusqu'à rendre la situation plus explosive.

La mobilisation a-t-elle vraiment évolué en termes de revendications ?

Disons que la première semaine, nous étions plutôt sur une revendication par rapport à l’accord d’association de l’Union européenne lui-même. Puis, suite aux répressions du 30 novembre, il y a eu tout un mouvement pour dénoncer la répression, l’arbitraire, la corruption. En gros, réclamer de la part des autorités ukrainiennes l’instauration d’un véritable Etat de droit.

Depuis une semaine, on est davantage à mon sens sur des manifestations, des prises de position contre la peur d’une résurgence d’une dictature plus dure que ce que l’on voit aujourd’hui. Ce qui est vraiment l’un des scénarios que l’on peut attendre de la situation actuelle en Ukraine.

Peut-on dire que c’est la pression russe qui pousse Viktor Ianoukovitch, le président ukrainien, à s'engager dans cette voie de la répression ?

Il est vrai que les autorités russes s’entendent dire à Viktor Ianoukovitch que c’est à lui de régler le problème du mouvement EuroMaïdan. Ils lui donnent une latitude pour intervenir avec la manière forte. Ce qui n’est pas le cas, évidemment, du côté des Européens et des Etats-Unis qui ont plutôt une position contraire.

Si lui-même fait ce choix, il a des partisans qui sont plutôt favorables à une solution répressive tandis que d’autres misent plutôt sur l’essoufflement du mouvement. On peut penser qu’il a calculé que le vote des lois de la semaine dernière lui permettra d’agir et qu’il trouvera toujours avec les autorités russes, finalement un recours, si jamais les Européens et les Américains décident de le menacer de sanctions.

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Radicalisation du régime, radicalisation du côté des manifestants. Qui sont ceux qui affrontent les forces de l’ordre, qui jettent des cocktails molotov ? Des étudiants ou des radicaux purs et durs ?

Il est évident que quand vous avez de grandes manifestations comme c’est le cas actuellement à Kiev, vous avez un public qui est assez divers. On a pu le voir les premiers jours, après l’accord de l’Union européenne : c'était plutôt la population d’étudiants qui était dans la rue.

Mais aujourd’hui, cela va bien au-delà de la population étudiante. Il y a la possibilité en son sein, bien sûr, d’avoir des mouvements extrémistes qui ne forment pas non plus une part significative. C'est ce que j’ai pu comprendre des échanges que j’ai pu avoir avec des manifestants. C'est-à-dire qu’on est vraiment sur une manifestation anti-régime qui, paradoxalement, soutient moins l’opposition que ce qu’on avait pu observer en 2004.

L’opposition ne représente qu’une partie de ces manifestants. On a beaucoup de manifestants qui fonctionnent un peu de la manière des mouvements Occupy Wall Street aux Etats-Unis ou des Indignados espagnols. C'est-à-dire des mouvements de manifestation sans volonté de s’incarner en un leader.

Ça veut dire qu’aujourd’hui, l’opposition est dépassée par ce qui se passe dans la rue ?

L’opposition est dépassée. Elle l’a même été assez rapidement. C'est-à-dire que l’opposition, partagée, a en commun avec les manifestants la volonté de se rapprocher de l’Union européenne, qui serait garante d’un Etat de droit, ou en tout cas d’une transformation des mœurs politiques. Pour autant, dès le départ, une partie significative des manifestants se trouvait en dehors du système politique. Elle représente plutôt l’exaspération d’un certain nombre de citoyens, sans pour autant que ça se traduise par une prise de position politique.

Dans un peu plus d’un an, en mars 2015, il doit y avoir une élection présidentielle. Du coup, l’objectif de l’opposition est d’inscrire ce mouvement dans la durée. Est-ce qu’elle va pouvoir tenir jusque-là ?

C’est une véritable question, parce qu’on imagine mal la place centrale de Kiev être occupée jusqu’en mars 2015. L’occupation dure déjà depuis soixante jours, en plein hiver. C'est un acte de résistance qui montre un certain courage de la part des manifestants.

A ce stade, on peut imaginer trois sortes de scénarios pour l’évolution de l’Ukraine très rapidement. Soit des élections assistées, ce qui est un scénario assez peu crédible, sauf si le pouvoir en place perçoit une division de l’opposition. On peut aussi imaginer un tournant autoritaire : un blocage d’Internet, des réseaux mobiles, des arrestations préventives, un arsenal beaucoup plus dur. Et à coté de ça, on peut imaginer un scénario qui nous mettrait dans le fonctionnement d’une table ronde entre l’opposition et le pouvoir en place.

Mais il y a d’abord la question de la représentativité de l’opposition qui se pose, puisqu'une partie des manifestants ne se reconnaissent pas dans l’opposition. Et puis, il faut négocier la durée du mandat, la transparence des accords internationaux, l’équité des élections 2015. Est-ce qu’on peut attendre un changement de Premier ministre ? Toutes ces questions sont en réalité sur la table.

L’Union européenne appelle au calme. Elle évoque aussi des actions possibles contre Kiev. Est-ce que ces menaces peuvent avoir de réels effets sur Viktor Ianoukovitch ?

Ils en ont moins que s’il avait adopté l’accord d’association. C'est-à-dire qu’aujourd’hui, l’Union européenne est moins influente qu’avant le sommet de Vilnius. Néanmoins, elle devrait en retrouver à mesure que la position de l’autorité russe se durcit. L’autorité ukrainienne serait nécessairement amenée à aller démarcher des pays européens et les Etats-Unis.

On voit qu’il y a véritablement un jeu d’équilibre, avec de nombreux Ukrainiens souhaitant garder contact avec les Européens, sachant que le premier voyage à l’étranger qu’avait fait Viktor Ianoukovitch quand il a été élu avait été à Bruxelles et non à Moscou.

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