Avec notre envoyée spéciale, Anastasia Becchio, et notre correspondant à Kiev, Sébastien Gobert
Kiev, mercredi soir. Une épaisse fumée noire s’élève au dessus des barricades. Des manifestants font brûler des pneus. Derrière l’écran de fumée, les forces de l’ordre tirent sporadiquement des grenades assourdissantes ou des balles en caoutchouc. Des hommes casqués et masqués empêchent les femmes de s’approcher des barricades. « Trop risqué », disent-ils. Une consigne que Violetta, quinquagénaire, prend comme un affront.
« Moi aussi, je veux prendre part à tout ça. Je veux aussi apporter ma contribution. Aujourd’hui, on m’a dit : les femmes sont là pour faire la soupe et soigner les blessures des héros. Ça ne va pas ! Je pense que ça fait sens de se battre pour l’Ukraine, pour la liberté. Nous voulons aller en Europe et nous irons. Mais retourner en Union soviétique, ça, je ne veux pas. »
Arsen, enseignant à l’université, porte un lourd sac rempli de pavés sur son épaule : « Moi, je n’ai pas peur. Si les forces spéciales s’approchent de moi, s’il n’y en a qu’un seul, je pense que je pourrai lui tenir tête. Bien sûr, s’ils sont plusieurs, alors là, ce sera le destin. Mes parents se font beaucoup de souci, ils m’appellent constamment. Mais que faire ? Je suis là. »
En amont de barricades, abritées par quelques planches, une dizaine de personnes remplissent d’essence des bouteilles en verre des cocktails Molotov.
Radicalisation
« Nous irons tous ensemble de l'avant, même si le résultat doit être une balle en plein front ». Economiste de formation, Arseniy Iatseniouk, l'un des leaders de l'opposition ukrainienne, s'est montré sous un jour tout à fait nouveau, mercredi soir, en lançant un ultimatum de 24 heures au président Viktor Ianoukovitch. Soit une solution politique est trouvée, soit le gouvernement devra affronter une vague de violences, cette fois encouragées par les forces politiques d'opposition.
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L'annonce est intervenue à l'issue d'une énième tentative de négociation avec l'autoritaire chef de l'Etat. Les violences policières, légitimées par les nouvelles lois liberticides du 16 janvier, ne faiblissent pas et la menace d'un assaut décisif semble se rapprocher inéluctablement.
Kateryna Kruk est une des figures emblématiques du mouvement civique, très active sur les réseaux sociaux. Pour elle, il n'y a pas de surprise : « Si vous avez le Premier ministre qui fait un discours disant que tous ces gens sur l'EuroMaidan sont des terroristes, et bien que faire des terroristes ? Il faut nous tuer, nous kidnapper, nous mettre en prison. Mais nous ne pouvons pas rester sur la place de l'Indépendance plus longtemps. »
Une trêve fragile jusqu'à la fin de journée
L'ultimatum des politiques, elle n'y croit pas trop. Après tout, aucun des dirigeants de partis n'a jamais réussi à contrôler les protestataires. Mais la radicalisation du mouvement et du gouvernement est réelle. Et elle augure de moments difficiles dans les heures et les jours à venir.
« Je vais faire tout mon possible pour stopper l’escalade de la violence, faire en sorte qu’il n’y ait plus d’autres victimes », a expliqué ce jeudi matin l’opposant Vitali Klitschko, avant de partir au rendez-vous avec Viktor Ianoukovitch. L’ancien boxeur a, auparavant, fait un tour sur les barricades où se consument des pneus et où manifestants et policiers s’affrontent sporadiquement. Là où cinq personnes ont été tuées.
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Il a dû faire face à un flot de questions et de critiques. « Pourquoi continuez-vous à négocier ? » ; « Pourquoi parlez-vous avec un dictateur ? » ; « Pourquoi tendez-vous la main à un criminel qui tue nos hommes ? », lui lance des manifestants auxquels il s’adresse. Un jeune étudiant lui a même remis la cartouche d’une balle, tirée selon lui sur des manifestants. « Il faut qu’il ait ça en tête quand il parlera avec Ianoukvitch », explique l’étudiant.
Il a appelé policiers et manifestants à observer une trêve jusqu'à ce soir, 18 h. « Je reviendrai d'ici 20 h (18 h TU, ndlr), et vous rendrai compte des négociations», a déclaré l'ancien boxeur ukrainien à la foule rassemblée sur les lieux. Les affrontements entre protestataires et forces de l'ordre ont, de fait, marqué une pause en fin de matinée ce jeudi.