Article mis à jour avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion
Le Premier ministre turc s'est d'ores et déjà rendu au palais présidentiel pour discuter du remaniement de son gouvernement avec le chef de l'Etat. Il pourrait annoncer rapidement la formation d'une nouvelle équipe.
Et ce, alors qu'une deuxième vague d'arrestations était en cours ce mercredi, dans le cadre de cette enquête anticorruption dévastatrice pour l'élite islamo-conservatrice du pays.
Tout s’est manifestement accéléré mardi soir, au retour d’une courte tournée au Pakistan de Recep Tayyip Erdogan. Le chef du gouvernement a alors réuni plusieurs de ses ministres, tard dans la nuit. Parmi eux, sans doute, les quatre ministres cités dans l'affaire.
Mardi, Abdullah Gül, le président de la République, était sorti pour la première fois de son silence pour commenter ce scandale. Il avait assuré qu’un remaniement ministériel, attendu depuis un bon moment, était imminent.
Le président tenait à calmer une partie de l'opinion publique peu satisfaite de voir que, quinze jours après l'arrestation des fils de deux ministres, ces derniers n'étaient toujours pas inquiétés.
« Démonter ce plan ignoble visant le gouvernement »
Zafer Caglayan, le ministre de l’Economie, a expliqué ce mercredi matin, dans un communiqué, qu’il quittait ses fonctions pour « ne pas nuire au travail de ses collègues », pour « démonter le plan ignoble visant le gouvernement » et « pour que toute la lumière soit faite » sur les allégations qui le concernent.
Si les ministres de l’Intérieur et de l’Economie ont été les seuls à démissionner dans un premier temps - alors qu’en tout, quatre ministres sont impliqués -, c’est parce que ce sont ceux dont les fils ont été inculpés et incarcérés. Mais très rapidement, ce mercredi en milieu de journée, le ministre de l'Environnement Erdogan Bayraktar a suivi l'exemple, abandonnant également son mandat de député.
Une demande de levée de l’immunité parlementaire des quatre ministres a, de toute façon, été déposée. Ils devaient, tôt ou tard, avoir à répondre des accusations portées contre eux.
Le Premier ministre Erdogan plus que jamais contesté
La première intervention publique du Premier ministre après les démissions a eu lieu en début d'après-midi ce mercredi. Droit dans ses bottes, Recep Tayyip Erdogan n'a pas changé son mode de défense : son mouvement, le Parti de la justice et du développement, est « blanc comme du lait », et c’est d’ailleurs le sens de l’acronyme AK pour AKP.
Selon M. Erdogan, la lutte contre la corruption, qui l’a amené au pouvoir, reste sa priorité. Il n’y aura jamais la moindre concession sur ce point selon lui. Tayyip Erdogan a réitéré « sa certitude d’être la victime d’un complot international mené par ceux qui sont dérangés, dit-il, par les réussites de son gouvernement et la modernisation du pays menées sous sa conduite. »
Le chef du gouvernement, qui n’a pas à un seul instant évoqué le sort de ses ministres démissionnaires, et encore moins le sien, a en outre lancé une contre-attaque en règle contre l’opposition parlementaire sociale-démocrate - il a d'ailleurs cité quelques exemples d’enrichissements personnels douteux - et contre les violations du secret de l’instruction qui désignent des coupables pas encore jugés par la justice.
« Pas la moindre trace de boue, de noirceur »
Le chef du gouvernement turc ne semble donc pas prêt à suivre l’appel de son ministre de l’Urbanisme et de l’Ecologie Erdogan Albayrak, qui estime que la démission du Premier ministre calmerait les inquiétudes et les doutes de la population.
Recep Tayyip Erdogan : « Ce qui a élevé notre parti à ce niveau, ce qui nous a amené à ces fonctions, ce qui depuis 11 ans nous maintient où nous sommes, avant tout, c’est notre honnêteté, c’est notre attachement aux responsabilités confiées, c’est notre attitude ferme et sans concession vis-à-vis des malversations.
L’AKP ne ferme pas les yeux sur les malversations, n’a aucune tolérance, sans quoi il perdrait sa base. C’est cette droiture qui nous a menés jusqu’à aujourd’hui. Nous, le parti AK et son encadrement, notre casier judiciaire est blanc comme le lait, pas entaché par la moindre trace de boue, de noirceur, sinon elle aurait été visible depuis longtemps. Et si cela devait être le cas, nous ferions immédiatement le nécessaire. »
→ À (RE)LIRE : Turquie, une enquête anticorruption aux trois visages