Russie: «La décision de gracier Khodorkovski a été prise par un cercle très restreint»

L’économiste russe Sergueï Gouriev, ancien recteur de la Nouvelle école d’économie (NES), exilé en France depuis qu’il a été victime de pressions en Russie, a été entendu comme témoin dans l’affaire du groupe pétrolier Ioukos. Cet ancien conseiller de Dmitri Medvedev juge « merveilleuse » la nouvelle d’une possible grâce en faveur de l’ancien patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, annoncée par le président russe. Pourtant, cette annonce ne le fera pas retourner en Russie.

RFI : Lors de sa conférence de presse annuelle, Vladimir Poutine a annoncé brusquement qu’il comptait gracier Mikhaïl Khodorkovski. Pourtant, les avocats de celui-ci disent qu’il n’y avait pas de demande de grâce de sa part. Que pensez-vous de cette nouvelle ?

Sergueï Gouriev : Je considère que c’est une merveilleuse nouvelle. Je pense que Mikhaïl Khodorkovski – au moins à l’issue de la deuxième affaire – est incarcéré à tort. C’est très bien qu’il retrouve la liberté. C’est une bonne nouvelle pour ses parents et ses proches, ainsi que pour le pays et pour le climat d’investissements en général. Je ne sais pas pourquoi cette décision a été prise maintenant, mais je suis très heureux et je félicite Mikhaïl Khodorkovski. Je crois que c’est une bonne nouvelle aussi pour les autorités, car le pouvoir fait ce qui permettra en fin du compte d’effectuer une transformation pacifique du régime.

Qu’est-ce que cette nouvelle signifie pour vous personnellement ? Allez-vous rentrer en Russie ?

Non, je ne compte pas rentrer en Russie. Si je comprends bien, Vladimir Poutine s’est exprimé aussi à propos de mon affaire et a fait une allusion sans équivoque à mon départ, prétendant qu’il était lié au fait que j’ai trouvé du travail ou bien décidé de retrouver ma famille, et qu’il n’y avait pas de poursuites à mon égard. A vrai dire, il a mentionné qu’il ne s’était pas penché sur mon affaire. Tout cela veut dire que les investigations et poursuites à mon encontre ne vont pas cesser. Et elles ont eu lieu en réalité. Ces propos de Vladimir Poutine concernant l’absence de poursuites à mon égard signifient que, soit il n’est pas au courant, soit il déforme la réalité sciemment, il ment. Ainsi, dans l’avenir proche, je ne compte pas rentrer et je resterai ici, en France.

Vous voulez dire que la nouvelle de la grâce pour Khodorkovski ne signifie pas l’annulation d'un éventuel troisième procès de Ioukos ?

Je ne sais pas. Je crois que tout peut arriver mais aussi j’ai vu que j’ai été poursuivi concrètement malgré le fait que je n’étais pas impliqué dans la troisième affaire. Je me suis retrouvé sous surveillance. J’ai été privé de mon droit constitutionnel, le droit à la correspondance. J’ai été perquisitionné. Je ne pense pas que cela puisse être considéré comme des conditions de vie et de travail acceptables, surtout que je n’ai fait aucun mal. Je pense que c’est une superbe journée pour tous, mais pour moi le retour n’est pas sans danger.

Comment voyez-vous le destin de Mikhaïl Khodorkovski après sa libération ? Le voyez-vous en tant qu’un des leaders de l’opposition ?

Je considère que Mikhaïl Khodorkovski a acquis de toute évidence une influence morale sur la société russe, y compris au sein de l’opposition. Je ne le vois pas leader politique en opposition à Vladimir Poutine, mais malgré cela je suis sûr qu’il deviendra une figure importante dans la société, il sera un activiste social. Beaucoup seront à son écoute. Mais cette question doit être posée à Mikhaïl Khodorkovski.

A votre avis, il ne quittera pas la Russie ?

Je ne le sais pas. C’est une question pour lui et pour sa famille. Si je comprends bien, il a gardé quelques ressources financières. Je pense, qu’il ne sera pas un homme pauvre. C’est quelqu’un de modeste dans son quotidien. Je crois qu’il peut vivre tranquillement en Russie ainsi qu’à l’étranger. Mais la question au sujet de son avenir est à poser à lui-même.

Comment pouvez-vous expliquer qu’au début, Mikhaïl Khodorkovski n’était pas mentionné dans le premier projet de l’amnistie – il était clair qu’il n’était pas concerné par cette amnistie – et que tout d’un coup, Vladimir Poutine annonce qu’il est prêt à le gracier ? 

Il est évident que la décision de la grâce pour Khodorkovski a été prise par un cercle très restreint de gens, et le projet de l’amnistie, au contraire, a été débattu assez largement. C’est pour cela que l’annonce étonnante de Poutine faite aujourd’hui ne pouvait pas faire partie de l’amnistie. Vladimir Poutine aime faire des déclarations surprenantes, il aime étonner ses interlocuteurs et son auditoire, c’est pourquoi je ne suis pas surpris que cela a été fait ainsi. Mais, comme dans le cas du verdict de Navalny en juillet, nous voyons que la main droite et la main gauche ne savent toujours pas bien ce qu’elles font.

Qui Poutine voulait-il surprendre par cette décision ?

Je pense qu’il s’agit de la société russe. Je pense que Vladimir Poutine veut faire des déclarations importantes par lui-même. Et il y est parvenu.

Cette déclaration peut être liée aux Jeux olympiques de Sotchi, qui sont proches ?

Sans aucun doute. Je crois que les Jeux olympiques jouent un rôle très important. Après la campagne d’hystérie anti-Occident et de haine envers les gays, la réputation de Vladimir Poutine en Occident est ébranlée, et c’est le moins qu’on puisse dire. Tendre la main de la collaboration aux leaders occidentaux qui posent depuis toujours la question de la libération de Mikhaïl Khodorkovski peut aider à rétablir ne serait-ce que l’apparence de relations normales.

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