Ukraine: Ianoukovitch frappe... et renforce l’opposition

Des centaines de policiers anti-émeutes ukrainiens ont lancé un assaut mercredi 11 décembre au petit matin contre les manifestants pro-européens occupant la place de l'Indépendance à Kiev. Mais les forces de l’ordre ont finalement été obligées de se retirer. Résultat : l’opération a galvanisé la mobilisation de l'opposition, tout en provoquant la réprobation des pays occidentaux, qui condamnent l’usage de la force contre les manifestants pacifiques.

Du point de vue du pouvoir, ses réactions au mouvement de protestation à Kiev apportent le plus souvent des effets contreproductifs. D’où une question simple : à quoi joue le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch ? On voit de plus en plus mal quels sont ses objectifs et on est de moins en moins sûrs qu’il maîtrise la situation.

Reconstruction des barricades

Il semble que le but de l’opération de ce mercredi matin était de couper l’accès à la place de l’Indépendance, Maïdane, où se déroulent les principales manifestations, et de déloger les protestataires les plus radicaux qui occupent la mairie de la capitale. Or, l’assaut contre la mairie a piteusement échoué, et la nouvelle de l’attaque contre Maïdane a provoqué un afflux massif des opposants. Après le retrait des forces de l’ordre, ils sont beaucoup plus nombreux sur place que d’habitude dans la semaine. Ils se sont mis à reconstruire les barricades détruites par la police.

Un reporter de la télévision polonaise décrit une scène peu banale : plusieurs policiers qui jettent leurs boucliers par terre et partent sous les applaudissements de la foule qui scande « Molodtsy ! Molodtsy ! », ce qui veut dire « Braves jeunes gens ! ». Et les leaders de l’opposition, qui jusqu’à présent réclamaient la démission du gouvernement, commencent à demander également celle du président Ianoukovitch. Si celui-ci voulait affaiblir sa position, il ne s’en serait pas pris autrement.

Condamnation générale

A l’occasion, il a davantage agacé l’Occident, sans pour autant contenter la Russie. Les Occidentaux ne mâchent pas leurs mots. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a publié un communiqué sur le « dégoût » qu’éprouvent les autorités à Washington face à l’opération musclée de la nuit dernière. Son adjointe Victoria Nuland, qui se trouve actuellement à Kiev et qui vient de rencontrer Viktor Ianoukovitch, a déclaré que ce qui s’était passé ce matin était « absolument inadmissible dans une société et dans un Etat démocratique moderne ».

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Une autre figure importante de la diplomatie occidentale qui est venue à Kiev, Catherine Ashton, responsable des affaires extérieures de l’Union européenne, a « condamné l’usage de la force et la violence ». La présidence lituanienne de l’Union a estimé, elle, qu’après l’assaut de la police lancé contre les manifestants pacifiques, le pouvoir ukrainien avait « perdu beaucoup de sa crédibilité ». Quant à la Russie, elle garde le silence, visiblement gênée par ce qui se passe en Ukraine. Le ton des commentaires de la télévision russe témoigne d’un certain embarras et d’inquiétude.

Viktor Ianoukovitch dans une délicate position

Y a-t-il encore une stratégie cohérente derrière les décisions de Viktor Ianoukovitch ? Depuis son accession au pouvoir, sa stratégie était cohérente, dans la mesure où Ianoukovitch essayait de mettre l’Ukraine à équidistance de l’Union européenne et de la Russie, pour tirer des profits des deux côtés. L’ennui, c’est qu’il n’a visiblement pas compris à temps que cette situation n’était pas tenable à long terme et qu’à un moment il fallait prendre des décisions claires. Il n’en a pas été capable, donc à force de vouloir à la fois contenter et exploiter tout le monde, il se met à dos l’Union européenne, la Russie, et sa propre population.

Son comportement peut également exprimer une stratégie claire, mais non déclarée ouvertement. De deux choses l’une : soit il a choisi l’orientation pro-russe, soit une orientation pro-européenne. Chacun de ces choix implique une tactique différente.

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Si Ianoukovitch a choisi d’arrimer l’Ukraine à la Russie, il va multiplier les actions répressives pour décourager définitivement Bruxelles à traiter avec lui, et bien sûr pour mater l’opposition pro-européenne. Mais s’il a choisi de continuer le rapprochement avec l’Europe malgré les pressions russes, il va continuer les démonstrations de force sans grand effet, pour pouvoir dire à Poutine : « Tu vois, j’ai tout essayé, mais ça ne marche pas, il faut donc que je négocie avec l’opposition et que je fasse des concessions ». C’est- peut-être pour cela que nous avons aujourd’hui cette impression de chaos : nous voyons les démonstrations de force, mais nous ne savons pas selon quelle tactique les interpréter.


 ■ ZOOM : A la mairie de Kiev, les manifestants pro-européens redoutent l'intervention des forces de sécurité

A Kiev, après l'intervention des forces anti-émeutes dans la nuit du mardi 10 au mercredi 11 décembre, les manifestants ont renforcé les barricades pour résister à un éventuel nouvel assaut. Ils tiennent en particulier à rester dans la mairie qu'ils occupent depuis le 1er décembre. Reportage à l'intérieur de l'édifice, devenu quartier général des manifestants.

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