Alfio Mastropaolo sur RFI : «Berlusconi est en train d'exercer un chantage désespéré»

C'était l'hiver dernier. Au terme de six semaines de tractations, un gouvernement de coalition émergeait en Italie, conduit par Enrico Letta. Le pays respirait. Mais depuis ce samedi 28 septembre, tout est remis à plat. En cause, la démission de cinq ministres du Peuple de la Liberté, le parti  de Silvio Berlusconi, et l'annonce du chef de gouvernement de demander la confiance du Parlement. Alfio Mastropaolo, professeur de sciences politiques à l'Université de Turin, revient sur cette nouvelle crise politique.

RFI : Ce coup de théâtre dans la vie politique italienne était-il prévisible ?

Alfio Mastropaolo : Nous savions bien entendu dès le début, dès la formation du gouvernement, que, fort probablement, Berlusconi allait être condamné. Berlusconi a fait le pari que s’il était condamné de quelque façon, la présence au gouvernement de ministres de son parti pouvait être une forme de protection, qui lui donnerait des opportunités de chantage. C'était largement prévisible. Berlusconi, à un certain moment quand il s’est vu perdu et condamné, a perçu que le chef de l’Etat ne pouvait pas intervenir parce que l’opinion publique ne le voulait pas. De la même manière, le Parti démocrate ne l’aurait pas protégé, parce que sa base d’électeurs n’accepterait jamais une formule, disons, d’absolution ou une amnistie pour Berlusconi.

Peut-on peut parler de vengeance de Silvio Berlusconi ?

Franchement, je crois qu’en ce moment Berlusconi est en train d'exercer un chantage désespéré sur la politique italienne. Il veut faire chanter le chef du gouvernement, parce qu’il a été condamné pour un crime assez grave, comme l’évasion fiscale.

Même condamné, cela signifie que c'est lui qui continue de tenir les rênes ?

Bien sûr. Il est totalement propriétaire de son parti. Le personnel politique a été sélectionné par lui personnellement, et il n'a qu'une autonomie très faible à son égard. Néanmoins, il ya une incertitude, parce qu'il risque désormais d'y avoir des divisions au sein de son parti. Il y aura des députés et des sénateurs qui considèrent les prochaines élections comme un risque.

Au regard de la loi électorale, on ne sait pas effectivement s'ils pourront se représenter. Il faudra attendre par conséquent quelques jours pour voir ce qui se passe. Et naturellement, cette situation fait la joie des spéculateurs. Parce qu’en fait, dans la politique italienne, rien n’a changé.

En matière de stratégie économique, le gouvernement ne faisait pas grand-chose, sauf à se soumettre aux prescriptions de la troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, et Union européenne, NDLR). Par conséquent, franchement, lorsque l'on voit les résultats ou les performances des actions et des titres de la dette publique, on peut les considérer uniquement comme une sorte de spéculation. On profite d’une situation d’incertitude pour faire des profits, c’est typique. Mais rien ne change dans la politique italienne, dans le gouvernement ou la gouvernance du pays.

Quels sont les scénarios envisageables à l’issue du vote de confiance qui doit avoir lieu mercredi au Parlement ?

Savoir ce qui va se passer dans quelques jours revient à lire dans le marc de café. Il est fort probable que l’Etat obtienne cependant un vote  de confiance. L’autre possibilité , si ce vote de confiance n'était pas acquis, cela reviendrait à former un nouveau gouvernement.

Cela voudrait dire qu’on repartirait dans des semaines et des semaines de tractations, est-ce que l’Italie peut se permettre cela ?

Franchement, je crois que la situation de la dette publique et des comptes publics italiens n’est pas si grave que ça. L’une des choses les plus discutables que ce gouvernement était en train de faire, c’était de réduire des impôts, uniquement parce que ça rentrait dans une stratégie antifiscale de Berlusconi. On maintiendra ces impôts.

En deuxième lieu, il ne fallait pas - on en a fait la tentative - augmenter la TVA. Avec le nouveau gouvernement, dans cette situation de crise, il fallait faire une loi pour laisser à 21% et ne pas monter jusqu’à 22%.

Donc, je ne vois pas de gros risques du point de vue substantiel pour les comptes publics. Le problème que je vois, c’est que les spéculateurs vont en profiter. S’ils profitent trop de cette situation jusqu’au bout, cela aura des effets déstabilisants, non seulement sur l’économie italienne, mais aussi au niveau européen. S’ils font des petits profits pendant quelques jours, ce sera a contrario tolérable.

Franchement, je considère plus dramatique la situation politique du pays, à commencer par ce qui va se passer lors des prochaines élections.

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