«C’est ce qu’on appelle le 'professionnel' par excellence. Le pur produit des écoles de diplomatie soviétique et russe», juge Nina Bachkatov, professeure de Sciences politiques à l’université de Liège, éditrice de la lettre Inside Russia.
«Il a cette particularité d’avoir une expérience de négociations internationales, puisqu’il a été le représentant de l’Union soviétique puis de la Russie aux Nations unies pendant très longtemps. Et on a souvent dit d’ailleurs que c’était un de ses handicaps, parce que l’expérience des Nations unies est une expérience où l'on défend les intérêts de son pays contre les autres. Donc, c’est plus une négociation (où l'on doit être) en position de force. Et on lui avait souvent reproché d’adopter cette attitude, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères... une certaine souplesse est plus de mise, si je puis dire.»
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Sergueï Lavrov, 63 ans, bloque depuis trente mois toute résolution favorable à une intervention extérieure dans le conflit syrien. En proposant le démantèlement de l’arsenal chimique en Syrie, il vient d'empêcher des frappes punitives contre Damas.
«Il y a beaucoup de complaisance »
Mais, pour Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Thomas Moore, cela n’a rien d’un coup de maître. Pour lui, Sergueï Lavrov ne mérite pas l’intérêt que les médias lui portent en ce moment. «Ici ou là, maintenant on nous apprend qu’il descend les rapides dans l’Altaï, qu’il boit du whisky… Ça me fait penser un petit peu à ce que l’on faisait circuler à l’époque d'Andropov, qui aimait le jazz, qui buvait du whisky... Ça fait très soviétique», juge le chercheur.
« Je trouve qu’il y a beaucoup de complaisance dans la manière dont on présente les choses. Parce que la Russie pratique, donc, une 'diplomatie du Niet'. Ça fait deux ans et demi que tout est bloqué sur la question syrienne. La partie russe a été obligée de bouger les lignes et de faire de timides concessions de surface. Mais enfin, le fait est qu’ils ont bougé, alors que jusqu’ici ils ne voulaient pas du tout bouger. Et puis, une fois que le scénario de l’intervention militaire semble repoussé à un peu plus tard, à nouveau, ils pratiquent de l’obstructionnisme. Ils jouent le statu quo. Sauf que sur le terrain, le statu quo, il est difficilement tenable. Donc en soi, il n’y a rien de bien exceptionnel. Ce que la partie russe a pour elle, c’est véritablement une vision claire de ses intérêts et l’opiniâtreté. Mais après, il n’y a pas un sens de la manœuvre extraordinaire.»
Lavrov « ne dit pas non à tout »
Comme son prédécesseur du temps de la guerre froide, Sergueï Lavrov est affublé du sobriquet de «Monsieur Niet». Cela ne correspond pas au personnage, pour Nina Bachkatov : «Je ne suis pas d’accord avec le « Monsieur Niet ». Ça ne concerne pas du tout l’attitude de Lavrov. On n’est plus à la période de Gromyko (ministre soviétique des Affaires étrangères de 1957 à 1985, ndlr), qui était un vrai 'Monsieur Niet'. Parce qu’à l’époque on était dans un système de deux blocs. Et donc, systématiquement, ce qu’un bloc proposait, l’autre le refusait. Aujourd’hui, il ne dit pas non à tout. Simplement il a défendu la position de la Russie, parce que –on l’oublie très souvent – la Syrie n’est pas très loin de la frontière du sud de la Russie.»
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Pour Nina Bachakatov, «il y a aussi toutes ces dimensions de conflits entre les chiites et les sunnites, que la Russie ne veut certainement pas importer chez elle». Selon la chercheuse, pour la Russie, « la guerre en Syrie n’a jamais été complètement une guerre à l’étranger, puisque c’était (un conflit) dont ils voyaient les répercussions à leur frontière, en terme de déstabilisation de leurs propres voisins et de déstabilisation en Russie même ».
Serguei Lavrov incarne depuis près de dix ans la diplomatie russe et quelque soient ses qualités, il reste néanmoins au service de la Russie et surtout du Kremlin.