Turquie: Recep Tayyip Erdogan conforté par le verdict dans le procès Ergenekon

C'est un procès très symbolique qui s'est terminé lundi 5 août 2013 en Turquie. Un procès qui illustre la lutte engagée par le Premier ministre islamiste Recep Tayyip Erdogan contre les élites laïques. Mais les peines prononcées par les juges sont bien loin du symbole. La plupart des 275 accusés ont été reconnus coupables de tentative de déstabilisation du pouvoir. Seize personnes, dont l'ancien chef d'état-major des armées, ont été condamnées à la prison à vie et des dizaines d'autres condamnations à la prison ont été prononcées. Les réactions de la classe politique sont cependant très mesurées.

Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion

« Le peuple turc ne reconnaît pas le verdict de Silivri ! » A l'image de la petite manifestation organisée sur la rive asiatique d'Istanbul, dispersée dans le calme, les réactions à la fin du procès Ergenekon sont restées plutôt convenues et mesurées, comme si la décision des juges n'avait guère surpris.

Le chef de l'opposition kémaliste, Kemal Kiliçdaroglu, a estimé que les sentences prononcées lundi n'avaient « aucune légalité » car le tribunal lui-même était « illégitime », puisque c'est une cour qui avait été mise en place spécialement et siège depuis plusieurs années dans la prison de Silivri, qui elle-même avait été construite à cet effet. La formation kémaliste du CHP perd avec le résultat de ce procès trois députés, dont deux ont été élus au cours de leur détention, en 2011. Trois élus qui seront privés de leur mandat dès que la Cour de cassation aura validé le verdict de lundi.

Le chef de l'opposition nationaliste du MHP, Devlet Bahçeli, a de son côté dénoncé la condamnation des hauts responsables de l'armée en parlant d'« assassinat du droit » et de peines « anormalement élevées » qui doivent absolument être « révisées ». Autres commentaires, du côté du gouvernement cette fois : le ministre des Affaires européennes Egemen Bagis souligne que la preuve a été faite de l'existence d'une « organisation terroriste » visant directement le gouvernement, et le vice-Premier ministre Bülent Arinç a déclaré que cette décision de justice, « qu'on l'aime ou pas, devait être respectée ».

Le dénouement du procès Ergenekon suscite donc des réactions finalement modestes, comme si la classe politique prenait acte et avait hâte que la page soit tournée.

Une bonne nouvelle pour Recep Tayyip Erdogan

Pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui a toujours eu très peur d'être renversé par un coup d'état militaire, ce verdict est certainement un soulagement. Il voit ainsi s'éloigner le risque d'être déposé par les militaires. Son pouvoir est en quelque sorte consolidé, ce qui ne fait pas de mal après l'agitation politique de ces dernières semaines, avec une opposition kémaliste affaiblie.

C'est d'ailleurs le deuxième procès du genre, après l'affaire Balyoz dans laquelle des militaires étaient déjà poursuivis pour tentative de putsch. Elle s'était conclue en septembre dernier sur des peines moins lourdes.

Le Premier ministre restera aussi dans l'Histoire comme celui qui aura pour la première fois, grâce à ses réformes rendant possible la comparution en justice de militaires, permis de juger des généraux putschistes, et pas uniquement d'obscurs sans grades puisque le chef d'état-major lui-même a été condamné. Malgré les critiques, le procès s'est déroulé et conclu dans un calme relatif et dans des normes acceptables, c'est donc pour M. Erdogan une réussite, si ce n'est une victoire.

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