Tania Bozaninou, journaliste grecque: «Nous sommes au-delà de la colère...»

La télévision et la radio publique grecque ont cessé d’émettre depuis hier soir. Une mesure radicale décidée par le gouvernement et justifiée au nom des économies imposées par la Troïka. Un black-out total, un paysage médiatique au point mort en Grèce. Ecoutez la réaction deTania Bozaninou, journaliste au quotidien grec To Vima.

RFI : Vous êtes journaliste au quotidien grec To Vima. Concrètement, comment s’est passée, cette fermeture ?

Tania Bozaninou : Au journal de 18 heures de la chaîne publique, a été annoncée la décision du gouvernement de fermer les chaînes de la radio et de télévision publique, à minuit. Hier (mardi 11 juin, ndlr) à minuit, les chaînes ont donc cessé d'émettre.

Les journalistes et tous les acteurs qui font les médias avaient-ils été prévenus en amont ou cela a-t-il été un coup brutal ?

L’annonce officielle a été un coup brutal. Il y avait des informations qui circulaient ces  deux ou trois derniers jours parce que - évidemment -, cela a été discuté entre les membres du gouvernement. Il y avait quelques rumeurs, quelques informations, mais l’annonce officielle a surpris la plupart du monde.

Il y a tout de même des représentants de l’Etat qui sont venus dans les locaux du groupe audiovisuel public ?

Non, c’est simplement l’annonce du ministre des Médias qui a été lue au cours du journal. Aucun représentant du gouvernement ne s’est rendu dans les locaux pour expliquer la décision aux employés.

Il y a bien des membres de deux autres partis pro-gouvernementaux - mais opposés à la décision de fermer la télévision - qui se sont rendus sur place. Mais personne n'est venu pour expliquer la décision du gouvernement.

Il y a donc un peu de tiraillements au sein du gouvernement sur cette décision ?  Ou au moins au sein de la classe politique ?

Oui, bien sûr. C’est la plus grave crise politique depuis que ce gouvernement - une coalitionde de trois partis - est au pouvoir.

Le gouvernement justifie son choix au nom des économies imposées par la Troïka. Est-ce que, là encore, il y a une colère qui monte de plus en plus sur le dictat de Bruxelles ?

La colère ? Je crois que les gens ont été très fâchés. Mais nous avons subi tellement de mesures cruelles. Tellement de changements pour le pire, dans notre vie, que maintenant je crois que nous avons dépassé la colère. Nous sommes au-delà de la colère...

Une résignation ?

Oui. C’est ça.

Est-ce que le droit constitutionnel grec autorisait le gouvernement à prendre une telle décision ?

Maintenant, oui. Le gouvernement, après la crise, a le droit de prendre de telles décisions soudaines. Avant la crise, bien sûr, on ne pouvait pas faire des choses comme cela. Mais maintenant, oui.

Ce n’est pas ce que dit le président du principal syndicat des salariés. Lui affirme que le gouvernement n’a pas le droit constitutionnel, ni l’autorisation via le Conseil d’administration de la radio télé nationale, de prendre une telle décision...

Mais le gouvernement dit que les mesures, les lois qui ont été adoptées après la crise, sous la direction de Bruxelles et du FMI, ont facilité les licenciements des employés, la fermeture des entreprises. Le gouvernement dit que c’est constitutionnel et complètement en accord avec la loi grecque.

Le gouvernement vient d’annoncer le dépôt d’un projet de loi pour réorganiser l'audiovisuel public grec. Vous y croyez ?

Moi, je suis assurément contre cette fermeture, sans que l'on sache précisément ce qui peut se passer le lendemain. Et personne ne croit que le gouvernement grec - pas seulement dans ce cas-là - observera des critères corrects, comme les critères employés par le secteur privé par exemple.

Et il n’était question que de réduire le nombre d'employés du groupe de télévision et de radio publique. Mais ce sont 2 600 personnes qui ont perdu leur travail hier. Et seuls 1 000 à 1 200 salariés seront à nouveau employés. Personne ne sait, personne n’a confiance, dans le choix des personnes qui seront à nouveau employées à la nouvelle chaîne de télévision qui va être créée fin août.

Il y a eu un appel à la grève des syndicats grecs. Est-ce que l’on peut parler de solidarité ?

Bien sûr, il y a un grand sentiment de solidarité pour les personnes qui travaillaient vraiment. Entre les 2 600 personnes qui ont perdu leur emploi, il y en a à peu près la moitié, ou 1 000 d’entre eux, qui travaillaient véritablement.

Les autres ne travaillaient pas ou ne se rendaient jamais au travail – parce que c’était la chaîne publique, et elle ne licenciait jamais personne – et se contentaient de toucher leur salaire.

Mais de toute façon, on ne peut pas mesurer la solidarité, parce que, en Grèce, les journalistes - et ceci n'est pas vrai pour les autres secteurs - n’ont pas le droit de ne pas faire grève, si celle-ci est annoncée par notre syndicat. Sinon, celui-ci nous jette dehors. Alors on ne peut pas exactement mesurer la solidarité.

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