Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion
La situation est très contrastée à Istanbul. La place Taksim en elle-même, où le ministre de l’Intérieur, Muammer Guler, avait promis qu’il ne donnerait pas l’assaut après le départ des forces anti-émeutes hier en milieu d’après-midi, est restée parfaitement calme, très festive. Des milliers de personnes y ont célébré la victoire toute la nuit.
Toutes les rues accédant à cette place sont ainsi restées barricadées et impraticables. Le quartier autour de la place est d’ailleurs très endommagé par les dépravations, mais une atmosphère bon enfant, très arrosée, y a régné toute la nuit.
En revanche, à un kilomètre à peine, le quartier de Besiktas sur les rives du Bosphore, où le Premier ministre a un bureau - et c’est sans doute lui qui était visé - a été le théâtre d’affrontements sévères jusqu'à très tard dans la nuit, et l’odeur des gaz lacrymogènes s’est répandue dans tout le centre-ville, jusqu’aux petites heures des l’aube.
Mais s'il y a encore eu des violences à Istanbul, la contestation ne s'arrête pas là et s'étend désormais dans tout le pays. De nombreuses autres villes sont touchées.
50 provinces mobilisées
Ainsi, il y a eu des rassemblements et des accrochages dans près d’une cinquantaine de provinces sur les 81 que compte le pays, et près d’une centaine de villes de Turquie ont connu des heurts similaires à ceux d'Istanbul. C’est dire l’ampleur de cette mobilisation.
Les heurts les plus sérieux ont eu lieu à Ankara et à Izmir surtout, où des banques et des bâtiments officiels ont entièrement brûlé.
Siva, Antalaya, Sentalya, Samsun, Mersin et Alaïa ont connu des incidents de même ampleur. Les affrontements à Istanbul et dans d'autres villes ont fait en deux jours 79 blessés, dont 53 civils et 26 policiers, a indiqué dans la soirée le ministre de l'Intérieur. Selon ses propos, la police a interpellé 939 manifestants au cours de plus de 90 manifestations survenues dans 48 villes.
Un bilan qui va certainement certainement évoluer .De nombreux Turcs se sont dits horrifiés de la violence excessive des forces de l'ordre pour réprimer les manifestations. Les Etats-Unis et l'Union européenne ont fait part de leur préoccupation. Amnesty International a même évoqué la mort de deux personnes.
C’est donc une situation quasi insurrectionnelle qui perdure en Turquie, sans possibilités de prévoir quand il y aura un retour à la normale.
Erdogan maintient son projet et assure « servir son peuple »
Face à la mobilisation, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, ne cède pas sur le projet de réaménagement urbain qui a mis le feu aux poudres. « Nous n’avons pas la prétention de faire disparaître le parc Gezi. A cet emplacement, nous voulons reconstruire à l’identique la caserne construite par le Sultan Selim III en 1780, en protégeant ses espaces verts. En même temps, nous voulons rendre piétonne la place Taksim en faisant passer les voitures sous terre, de manière à ce que les citoyens puissent se promener tranquillement », explique le Premier ministre, qui s’étonne « que tout le monde s’arrête sur un projet de centre commercial ».
Le Premier ministre précise par ailleurs que « de toute façon, on ne peut pas construire sur cet espace un centre commercial aux normes internationales. Et il n’y a pour l’instant aucun projet confirmé d’un tel centre commercial prévu pour cet endroit ».
« Tayyip Erdogan serait un dictateur ? Si vous traitez de dictateur quelqu’un qui s’efforce de servir son peuple, je n’ai rien à dire », a-t-il encore déclaré.