Debout devant le juge, entouré de ses avocats, Alexeï Navalny répète d’une voix forte et assurée ce qu'il dit depuis des mois : cette affaire, « fabriquée », est une « vengeance politique », destinée à l’écarter de la scène politique.
Les faits qui lui sont reprochés remontent à 2009, à une époque où l’opposant était conseiller du gouverneur de la région de Kirov. A ce poste, il aurait, selon l’accusation, détourné près de 400 000 euros d'une exploitation forestière. Dans un premier temps, il était accusé d’avoir encouragé l’entreprise de bois publique Kirovles à conclure un accord avec une société privée, pour lui vendre du bois à un prix inférieur à celui du marché, mais l’affaire avait été classée faute de preuve par les autorités judiciaires de Kirov. Elle avait subitement été rouverte l’été dernier par le puissant Comité d'enquête de Moscou, avec des charges alourdies.
« Une vengeance »
L'opposant estime qu'il s'agit là d'une vengeance de la part du pouvoir russe pour ses enquêtes sur les scandales de corruption qui visent aussi bien des hommes politiques que les grandes entreprises d'Etat ou encore ses campagnes contre le parti de Vladimir Poutine qu'il a baptisé le « parti des escrocs et des voleurs ».
Alexeï Navalny risque gros, jusqu’à dix ans de prison. Mais à l’issue de ce procès, il ne sera pas au bout de ses peines, étant visé par plusieurs autres enquêtes. Il est notamment soupçonné d'avoir détourné 2,5 millions d'euros d'un parti libéral. On l'accuse d'avoir usurpé son statut d'avocat. La semaine dernière, il a appris qu'une nouvelle enquête pour escroquerie était ouverte contre lui et son frère Oleg. Les deux hommes sont accusés d'avoir fait subir un préjudice de quelque 95 000 euros à une entreprise à laquelle ils auraient facturé des services « à des prix surévalués ». Dans cette dernière affaire, la peine maximale prévue est, là aussi, de dix ans de réclusion.
Au juge Sergeï Blinov, qui le reprenait à l’issue de son discours de près d’un quart d’heure, lui demandant de s’en tenir au fond de l’affaire, Navalny a répondu que rien ne l’obligerait à se taire. « Vous voulez que je parle de bois (...) pour prétendre que je ne fais pas l'objet d'un procès politique ? », a rétorqué l’opposant.
Un blogueur bien dérangeant
Navalny dérange le pouvoir. Ses enquêtes font régulièrement du bruit. Ces derniers mois, un député et un sénateur du parti au pouvoir ont dû démissionner lorsque le blogueur anti-corruption a publié sur son site internet des enquêtes prouvant qu'ils possédaient des biens luxueux à l'étranger, qu'ils n'avaient pas déclarés.
Navalny s'en est aussi pris au chef du Comité d'enquête, l’organe chargé des investigations criminelles. Documents à l'appui, il a accusé Alexandre Bastrykine d'avoir des intérêts financiers et immobiliers en République tchèque, celui-là même, qui quelques semaines plus tard prenait la décision de rouvrir l'enquête de Kirov, l'été dernier. Le porte-parole du comité d'enquête a d'ailleurs reconnu que Navalny s'est attiré des ennuis judiciaires en « narguant » les autorités.
Le régime de Vladimir Poutine a tendance à évincer tous ceux qui ne jouent pas ses propres règles du jeu. Mais jusque là, il s'agissait le plus souvent d'hommes d'affaires, rapidement écartés s'ils se mêlaient un peu trop de politique.
La liste des oligarques en exil est longue : le sulfureux Boris Berezovski, mort récemment à Londres en est un exemple. Autre symbole : Mikhail Khodorkovski, l'ancien patron de la compagnie pétrolière Ioukos, toujours emprisonné après ses condamnations en 2005 et 2010 pour fraude et évasion fiscale. C'est lorsqu'il s'est mis à financer l'opposition et des programmes de société civile, qu'il s'était mis à dos le Kremlin.
Chasse aux opposants
Khodorkovski a d’ailleurs publié une tribune dans la presse ce mercredi, pour critiquer le procès fait à Navalny et dénoncer des charges « qui ne tiendraient pas devant un tribunal honnête et équitable ». Selon lui, « l'objectif est d'effrayer et démoraliser les opposants et les électeurs politiquement actifs, de présenter comme marginales et extrémistes la contestation civique pacifique ».
Dans un rapport rendu public ce mercredi (le rapport en anglais), les organisations de défense des droits de l’homme Human Rights Watch et Amnesty International s'inquiètent d'une détérioration de la situation. Elles dénoncent une campagne de répression sans précédent menée par le gouvernement contre la société civile russe.
Depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence en mai 2012, notent les organisations, « les autorités ont introduit une série de lois restrictives, et lancé une campagne nationale d’inspections abusives contre les organisations non gouvernementales ; elles ont harcelé, intimidé et dans de nombreux cas emprisonné des militants politiques, et ont tenté de faire passer les personnes critiques à l’égard du gouvernement pour des ennemis clandestins ».