Irena Boldok, survivante du ghetto de Varsovie, face à un mur de souvenirs

Il y a tout juste 70 ans, le 19 avril 1943, dans le ghetto de Varsovie, une poignée de combattants a ouvert le feu sur des Allemands.C'était le premier soulèvement de cette ampleur dans toute l'Europe occupée par les nazis. Varsovie commémore cet anniversaire ce vendredi en présence des chefs d'Etat polonais et israéliens et de nombreux autres dignitaires.

Sur les 400 000 juifs enfermés dans le ghetto en 1940, il en restait 100 000 le 19 avril 1943. A cette date, la plupart ont déjà été déportés dans les camps de la mort, d'autres ont été décimés par la faim et la maladie. Irena Boldok, est l'une des rares survivantes de ce ghetto.

Un trou dans le mur

Irena Boldok, née Likierman, a 81 ans et de grands yeux bleus. Elle se tient, incertaine, devant ce bout de mur du ghetto préservé, dans la cours d'un immeuble de la rue Sienna, située aujourd'hui dans le quartier d'affaires de Varsovie.

« Je suis née à Varsovie. J'ai vécu dans le ghetto, juste à côté de ce mur, un peu plus de deux ans. J'en avais sept en 1940 et au lieu d'aller à l'école, on m'a enfermée dans le ghetto. Toute la famille était là, ma sœur aînée, ma mère, mon père et moi. Et puis, soudain, cette famille commençait à disparaître. Mon père et ma sœur ont disparu de ma vie sans que je sache ni quand, ni comment. Par un trou dans le mur, je ne sais plus si c'était là précisément, ma mère m'a fait sortir du ghetto et nous nous sommes enfuies », raconte la survivante.

Mais le calvaire d'Irena va continuer. Sa mère disparaît à son tour. Irena manque de peu d'être déportée à Tremblika. Elle voit son oncle se suicider sous ses yeux. Sauvée de justesse par un cheminot ému par ses grands yeux bleus, elle va se cacher dans la ville de Miedzyrzec, dans des granges, des placards, des greniers ou des bottes de foin.
Elle finit par être recueillie dans un couvent. Après la guerre, elle choisit de rester en Pologne. Malgré l'âge et la fatigue, elle continue à témoigner.

Témoigner au nom du devoir de mémoire

« Parfois, ce n'est pas facile. Une réalisatrice a voulu m'interviewer au musée historique de la ville de Varsovie où se tient actuellement une exposition sur le ghetto. J'ai piqué une crise. Entourée par ces photos, je me suis de nouveau retrouvée dans le ghetto. J'avais l'impression que les disparus descendaient des cadres. Je me suis enfuie. Mais je continue à témoigner. Nous sommes assez âgés. Bientôt nous ne serons plus là. Or, il est important de rencontrer les témoins encore vivants. Les jeunes doivent savoir pour que ces histoires affreuses n'arrivent plus jamais », insiste-t-elle.

Les Jedruszczak, une famille au pied du mur

Une famille a été particulièrement émue par le destin tragique de ces juifs de Varsovie. Mieczyslaw Jedruszczak, 92 ans aujourd'hui, est un ancien rescapé du Goulag. Il a été relogé à Varsovie dans les années 1950, dans de nouveaux immeubles construits sur les décombres du ghetto. Son petit jardin est mitoyen du mur dont il s'occupe avec passion et respect, depuis plus de 40 ans.

« Ce n'est pas « mon » endroit. C'est un endroit historique, qui fait partie de l'histoire de Varsovie. Il faut parler de ces Polonais qui étaient Juifs, et qui depuis des siècles habitaient avec nous. Un jour ils se sont retrouvés ici, derrière ce mur. Il faut en parler. Il faut respecter l'histoire et ne rien cacher, même s'il s'agit des événements déplaisants... »

Le destin du fils de Mieczyslaw a été marqué par la mission dont son père s'est senti investi. Boguslaw est professeur d'Histoire dans un lycée situé rue Mila. Malgré son nom - Mila signifie « douce » en polonais - c'est là que les derniers combattants de l'insurrection ont trouvé la mort. Leur commandant, Mordechaj Anielewicz, s'est suicidé avec plusieurs de ses compagnons pour ne pas tomber entre les mains des Allemands.

Des témoins directs à leurs petits enfants

Boguslaw vient souvent donner un coup de main à son père. Désormais, c'est souvent lui qui sort le livre d'or, qui devient avec le temps une précieuse archive historique : « Quand on lit les premiers tomes de la chronique que nous avons commencé à tenir avec mon père dans les années 1990, il y avait beaucoup de gens qui se souvenaient du ghetto. Ils écrivaient « mon père, ma mère sont morts ici », « j'étais là, derrière ce mur, dans ce ghetto ». Aujourd'hui ce sont les enfants ou les petits-enfants, et surtout les jeunes, qui viennent grâce au programme de préservation de la mémoire de la Shoah mis en place en Israël. »

La saga familiale continue. Le fils de Boguslaw, petit-fils de Mieczyslaw, devenu artiste, a décidé de mettre le mur du ghetto au cœur de sa création artistique. Chacune de ses lithographies est une tentative de représentation, voire de reconstruction de ce mur qui n'est plus. Pour que son absence ne soit pas synonyme de l'oubli.

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