RFI : Depuis l’élection de François Hollande, le gouvernement a soutenu sa ligne de conduite : l’objectif de croissance, fixé par Pierre Moscovici est de 2 % pour 2015 et même de 1,2% dès l’année prochaine. Pourtant, toutes les analyses le contredisent, dont celle de l’OFCE. Pourquoi, selon vous, autant d’optimisme ?
Xavier Timbeau : Pourquoi autant d’optimisme ? En fait, c’est vraiment le cœur de la question. Je pense qu’il faut vraiment comprendre cela.
La situation dans laquelle la France se trouve aujourd’hui est une situation économique dégradée, dans laquelle le chômage est élevé. Nous ne sommes pas remis de la crise. Il y a probablement, aujourd’hui, en France, un potentiel de croissance, simplement par la réduction du chômage. Mais la politique économique qui est menée, la politique budgétaire, vise à réduire les déficits. Elle fait de la réduction des déficits la véritable priorité de la politique économique aujourd’hui.
En fait, le gouvernement fait systématiquement des prévisions trop optimistes, parce qu’il a tendance à négliger l’impact de cette politique budgétaire sur la croissance. Il a tendance à négliger le choix cornélien dans lequel il est, qui est de vouloir réduire d’un côté le déficit et réduire de l’autre le chômage. Et il a du mal à assumer qu’il préfère finalement réduire le déficit, plutôt que de réduire le chômage.
Le gouvernement doit naviguer entre sa volonté de croissance et sa promesse faite à Bruxelles de contenir son déficit budgétaire...
Exactement. C’est cette difficulté-là qui l’étreint. Et probablement, la solution que le gouvernement a choisie, qui est la mauvaise solution, est d’essayer de minimiser l’impact négatif de cette réduction des déficits publics. Cela conduit à cette situation, toujours incroyable, dans laquelle le gouvernement semble s’accrocher à un certain optimisme, et est obligé de revenir dessus ensuite. Alors que, finalement, tous les observateurs extérieurs le préviennent et lui disent : « Attention ! Les choses ne vont pas se passer de cette façon-là ».
Selon vous, que faudrait-il faire pour revenir à la croissance ?
Effectivement, les questions : « Qu’est-ce qu’il faudrait faire ? » et « quelle serait l’alternative ? », sont importantes. En substance, ce qu’il faudrait faire est assez simple. Il faut arriver, évidemment, à stabiliser les finances publiques, réduire les déficits, contrôler la dette, c'est-à-dire d’abord la stabiliser. Et ensuite, l’abaisser. Ce sont là des points indiscutables, qu’il faut mettre sur l’agenda de la politique économique. Mais pour le faire, il faut d’abord que le chômage baisse.
Donc, l’idée d’une alternative de politique économique est de commencer par la baisse du chômage et, ensuite, de stabiliser les finances publiques. C’est en fait l’idée de stabiliser les finances publiques, non pas dans l’immédiat, mais sur le moyen terme. En se donnant du temps, on a la possibilité d’avoir une meilleure articulation entre réduire le chômage et réduire le déficit.
Xavier Timbeau, le grand débat c’est l’austérité. Faut-il plus d’austérité ? Beaucoup de pays du Sud ont dit non, arguant du fait que cela nuit à la relance de cette fameuse croissance. Pourquoi, alors, la Commission européenne s’obstine-t-elle à exiger que les déficits budgétaires ne dépassent pas les 3 % du Produit intérieur brut ?
C’est la Commission européenne, mais c’est aussi aujourd’hui profondément ancré dans la construction européenne. En fait, les partenaires européens n’ont pas confiance les uns dans les autres. Et quand, aujourd’hui, un pays dit : « Je vais reporter l’ajustement de mes finances publiques à plus tard », personne n’entend cela. Tout le monde entend : « Je ne vais pas ajuster mes finances publiques. Je ne vais pas contrôler mes finances publiques et je vais laisser aller mes finances publiques jusqu’à la catastrophe. »
Cette absence de confiance, qui est en même temps justifiée par le fait qu’il n’y a pas vraiment d’éléments sur lesquels les pays pourraient s’engager, sur lesquels ils pourraient gager leurs promesses pour le futur, conduit à préférer la réduction immédiate des déficits publics, plutôt que de la reporter.
En fait, les pays européens sont pris dans cette spirale où ils n’ont pas la confiance de leurs partenaires. Cette confiance des partenaires pourrait se traduire par la mutualisation des dettes publiques. Tout cela ne se produit pas. On est donc contraints à cette réduction immédiate des déficits publics, au détriment de la réduction du chômage et avec comme conséquence, qu’en fait, le chômage augmente.
Selon vous faudrait-il donc aménager ces plans de rigueur ?
Il faudrait aménager ces plans de rigueur et mettre en place en Europe des institutions qui rendent crédibles les promesses des différents Etats membres sur la stabilisation de leurs finances publiques. C’est en fait une forme de transfert de souveraineté à effectuer, des pays vers l’Union européenne, pour permettre d’atteindre ce timing différent dans l’ajustement des finances publiques, et de parvenir à articuler correctement l’exigence de croissance et de stabilisation des finances publiques.
Dans le rapport publié par l’OFCE, vous pointez le risque déflationniste dans la zone euro. C’est une inquiétude aujourd’hui ?
C’est une inquiétude très forte, d’autant que ce risque déflationniste - qui a été analysé depuis assez longtemps par beaucoup d’observateurs et d’économistes - est en train de se concrétiser aujourd’hui en Espagne, au Portugal, en Irlande, en Grèce, où l’on observe d’ores et déjà une baisse des salaires. Et pas des salaires réels, comme on l’a observé en France, mais des salaires nominaux. Cela indique que l’on entre, effectivement, dans cette zone de déflation. Le chômage est élevé et cela constitue une pression à la baisse sur les salaires. Cela augmente la compétitivité de ces pays, mais surtout cela va produire un effet assez terrible de revalorisation des dettes et des dettes privées.
En Espagne, par exemple, la baisse des salaires va conduire à ce que les ménages vont avoir une dette de plus en plus lourde rapportée à leurs revenus. Ils vont donc faire défaut. Ces défauts vont conduire à mettre des banques en situation difficile. Et ces banques en situation difficile vont elles-mêmes faire appel à l’Etat. Et cela va conduire à une augmentation de la dette publique. Donc, on entre dans une nouvelle phase de la crise, celle de la déflation. Et ça va être une phase extrêmement difficile dont il est très long et très compliqué de se sortir.