Quel rôle politique pour le pape François ?

François Mabille, membre du Groupe religions société laïcité au CNRS, décrypte ce que les premiers pas du pape François disent de son positionnement, entre le politique et le spirituel à venir. Mardi 19 mars, l’ex-cardinal de Buenos Aires a prononcé son homélie, une sorte de messe inaugurale aux airs de discours d’investiture d’un chef de l’Etat. Une trentaine d’entre eux étaient d’ailleurs présents, parmi les 130 délégations officielles qui avaient fait le déplacement place Saint-Pierre.

L’évêque de Rome est un chef d’Etat, mais a-t-il un rôle politique à jouer ?

François Mabille : Il se le donne très souvent. Ça ne veut pas dire que tout le monde est d’accord avec cette perception. On voit d’ailleurs très souvent des hommes politiques critiquer le pape, ou des chefs d’Etat le critiquer, lorsque ses déclarations ne leur plaisent pas. Cela étant, ce que l’on a vu ces trente, quarante dernières années, c’est une évolution du rôle diplomatique de la papauté.

Il y avait 84 relations diplomatiques avec les Etats, lorsque Jean-Paul II est arrivé au pouvoir. Il a quitté son pontificat avec 174 relations avec des Etats dans le monde. On en est actuellement à 179-180. Vous avez donc une singularité, avec une papauté qui est à la fois une puissance spirituelle et qui présente également quelques caractéristiques communes aux Etats.

C’est une spécificité du catholicisme ?

C’est une spécificité du catholicisme, qui est d’ailleurs très souvent critiquée par les autres religions. J’évoquais les relations avec les Etats. Il ne faut pas oublier également que le Saint-Siège est présent au sein des différentes instances Onusiennes, avec un statut d’Etat observateur. C’est d’ailleurs, si vous vous en souvenez bien, le statut que Nicolas Sarkozy avait proposé pour l’autorité palestinienne il y a quelques mois.

L’institution en elle-même, le Vatican, est une institution politique. Ensuite, le pape a une marge de manœuvre. On se souvient d’un Jean-Paul II très politique, très politisé. C’est un choix qu’il avait fait. Benoît XVI, lui, était beaucoup plus en retrait...

Oui. Il est certain que la diplomatie du Vatican s’adapte, en quelque sorte, à la personnalité du pape et aux orientations de son pontificat. Bruno Le Maire, dans l’ouvrage qu’il a sorti récemment, évoque une conversation qu’il a eue avec Stanislas de Laboulaye, qui était notre ambassadeur du Saint-Siège.

Et ce dernier, en 2011, disait à Bruno Le Maire que finalement son poste était moins intéressant qu’il n’y semblait a priori, que l’influence du Saint-Siège était totalement exagérée et qu’il n’y avait personne pour traiter l’information. Voilà. On a ici un point de vue très intéressant. De l’intérieur du système, qui montre bien qu’entre la géopolitique mondiale du Vatican du temps de Jean-Paul II et la manière de percevoir les relations internationales sous Benoît XVI, il y a eu une énorme différence.

Il faudra voir de quel côté se situe, en quelque sorte, le nouveau pape. S’il met les pieds dans les traces de Jean-Paul II ou s’il se prononce pour un pontificat peut-être plus modeste, plus humble, à ce niveau-là. Et donc, d’une certaine manière, moins politique.

Sur certains points, la comparaison avec Jean-Paul II a été souvent faite depuis quelques jours. On dit le nouveau pape très politisé, le « pape des pauvres ». Il s’est aussi engagé contre le mariage pour tous dans son pays, où il a affronté la présidente Cristina Kirchner. Est-ce que ce parallèle avec Jean-Paul II vous semble juste ?

Je crois qu’il va falloir se livrer à un droit ou un devoir d’inventaire. Ne nous trompons pas, François n’est pas Jean-Luc Mélenchon. On peut s’occuper des pauvres de plein de manières. Je dirais même d’ailleurs que le vocabulaire utilisé : « Pape des pauvres », est déjà significatif d’une certaine orientation.

Donc, il faudra voir comment François s’occupe véritablement de cette question-là. S’il se positionne dans une posture plutôt dénonciatrice, très politique, en prenant en point de mire le FMI, les structures internationales, par exemple. Ou s’il est plus dans le rappel des grands principes, laissant plutôt aux épiscopats le soin de s’affronter directement avec les Etats.

Personnellement, je penche plutôt vers cette seconde solution. Ce qui lui permettrait d’être cohérent avec la propre attitude qu’il a eue, lorsqu’il s’est opposé à la présidence argentine, sur la question du mariage pour tous. Du reste, la présidente argentine vient très habilement de suggérer au pape de faire une médiation autour des îles Malouines, entre la Grande-Bretagne et l’Argentine. On verra comment le pape répond à cette demande.

Mardi matin, dans sa messe inaugurale, le pape François a en quelque sorte donné deux lignes pour son pontificat. Une sorte d’écologie humaine : il a parlé d’une marge du monde moins destructrice. Et puis une autre, l’écologie tout court : il accentué son discours sur l’environnement. Est-ce que ces deux points, selon vous, lui permettraient d’être à la fois un pape politique, tout en restant très « philosophe », sans rentrer véritablement dans l’arène ?

Oui. D’abord une première remarque : on est tout de même très loin d’un discours à valeur programmatique, comme certains l’avaient annoncé. Personnellement, j’ai trouvé que son discours était un petit peu terne, un petit peu en retrait, avec effectivement, quelques points que l’on peut retenir. Mais on est loin du « N’ayez pas peur » de Jean-Paul II.

Vous soulevez deux aspects qui sont effectivement intéressants : l’environnement, l’écologie. C’est une ligne de continuité avec Jean-Paul II, qui avait initié cette thématique au niveau du Saint-Siège. Personnellement, je retiendrai plutôt le discours sur l’espérance. C'est-à-dire une rupture avec Benoît XVI, qui lui, dénonçait le monde contemporain, dénonçait l’absence de valeurs. Il y a là, peut-être, une inflexion nouvelle : essayer de voir ce qui est plus positif et que souhaiterait soutenir l’église catholique.

Le pape François trace donc, peut-être, une troisième voie, entre la version très politisée de la papauté de Jean-Paul II et une version plus théologique de Benoît XVI ?

Exactement. On peut penser qu’au bout d’un troisième pontificat on parvient à une sorte de point d’équilibre, qui tient compte également des exigences de la mondialisation d’une part, et puis de la volonté de décentralisation de l’église catholique, qui s’est exprimée lors du conclave.

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