La Macédoine à nouveau au bord du gouffre

Skopje a connu un nouveau week-end d’extrême tension. Vendredi et samedi, de très violentes manifestations de jeunes Macédoniens, puis de jeunes Albanais, ont dégénéré en affrontements urbains généralisés. Les partis politiques se renvoient la responsabilité de cette nouvelle bouffée de violence.

Tout a commencé vendredi après-midi, à Skopje. Le mouvement Dostojanstvo - « Dignité » - avait appelé à un rassemblement devant le siège du gouvernement pour protester contre la nomination de Talat Xhaferi, un ancien commandant de la guérilla albanais au poste de ministre de la Défense. Ce mouvement regroupe les « défenseurs de la patrie », c’est-à-dire les anciens membres des forces de sécurité qui ont participé au conflit armé de 2001.

Une coalition sans convergence politique

La communauté albanaise représente un quart de la population du pays, et l’actuelle coalition gouvernementale rassemble les nationalistes macédoniens de la VMRO-DPMNE et le Mouvement démocratique pour l’intégration (BDI), le parti formé par les anciens guérilleros de l’UÇK-M.

L’accord de coalition ne repose sur aucune convergence politique. Il n’a jamais eu pour autre but que de satisfaire l’Union européenne, désireuse de voir un parti albanais associé au pouvoir.

Ces derniers mois, le BDI a d’ailleurs multiplié des provocations difficilement acceptables par l’opinion macédonienne, tandis que le Premier ministre Nikola Gruevski semble uniquement intéressé par la poursuite du pharaonique chantier de « Skopje 2014 ».

Manifestation et contre-manifestation

Vendredi, des supporteurs de football et beaucoup de jeunes Macédoniens ont rejoint les anciens combattants dénonçant la « trahison ». Des heurts n’ont pas manqué d’éclater avec la police. Puis des bandes se sont répandues dans plusieurs quartiers de la ville, où ils auraient agressé des collégiens albanais.

Des jeunes Albanais, musulmans, auraient été forcés, sous menace de mort, d’embrasser la croix orthodoxe. Aucun témoin n’a pu confirmer ces scènes, mais la rumeur, répercutée par Internet et les chaines de télévision albanaises du pays, a fait son œuvre.

Le lendemain, ce sont les jeunes Albanais qui se sont rassemblés à leur tour devant le siège du gouvernement, sans qu’aucune organisation n’ait appelé à cette manifestation. À nouveau, des affrontements ont éclaté avec les forces de l’ordre, et se sont étendus dans la ville, notamment dans les quartiers majoritairement albanais de Bit Pazar et de Cair, où des voitures ont été incendiées, et un autobus renversé. Au total, la police a interpellé une trentaine de personnes.

Pendant que ces incidents faisaient rage, les députés étaient réunis en séance exceptionnelle pour adopter, aux forceps, les amendements constitutionnels qui doivent permettre à l’opposition sociale-démocrate de participer aux élections municipales du 23 mars prochain. Des élections qu’elle entendait initialement boycotter pour dénoncer la dérive autoritaire du gouvernement.

Les partis s'accusent mutuellement du climat de tension

En visite à Skopje, le Commissaire européen à l’élargissement, Stefan Füle, avait arraché cet accord et s’apprêtait à se réjouir de ce « succès » quand les incidents ont éclaté. Les heurts se sont d’ailleurs poursuivis au sein même du Parlement, les élus des deux principaux partis albanais du pays – l’un dans la majorité, l’autre dans l’opposition – se rejetant la responsabilité des manifestations.

Alors que le chômage touche officiellement 30% de la population active du pays, et plus de la moitié des jeunes, la Macédoine connaît certainement la situation sociale la plus tendue de la région. Les incidents du week-end, comme ceux qui avaient déjà secoué Skopje et plusieurs autres villes du pays il y a un an selon un scénario largement similaire, sont l’expression de ce profond malaise qui s’exprime par le biais de la haine « interethnique », au risque d’emporter le pays.

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