« C'est en effet le vide juridique total », explique le père Cédric Burgun, professeur de droit canon à l'Institut catholique de Paris. Mais les juristes se sont déjà mis à l'ouvrage.
Mardi soir, le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, annonçait déjà le titre que Joseph Ratzinger porte depuis jeudi soir : « Sa Sainteté Benoît XVI, pape émérite ».
Il est désormais vêtu d'une soutane blanche, très simple et différente de celle qu'il portait jusqu'à aujourd'hui. En revanche, il a troqué ses chaussures rouges pour une paire marron. L'anneau du pécheur, symbole du sceau pontifical, a été brisé. Et les appartements pontificaux sont scellés juqu'à leur prise de possession par le prochain pape. Les caméras de télévision du monde entier devraient en témoigner.
Reste maintenant aux juristes à définir tout un nouveau protocole. « Le protocole n'est pas prévu. Le lieu d'habitation, par exemple, n'était pas prévu non plus. Benoît XVI a choisi librement d'habiter au Vatican. Au niveau du protocole, on ne sait pas quelle place il aura, s'il sera invité à des manifestations officielles, par exemple, et donc le rôle qu'il y jouera. On n'en sait rien », continue le père Cédric Burgun.
Deux hommes, un titre
Situation complètement inédite, bientôt deux hommes porteront le titre de pape. Benoît XVI a affirmé qu'il continuerait de servir l'Eglise, mais à travers la prière et la réflexion théologique seulement. Certains redoutent tout de même le spectre de l'éternel retour, avec un pape à la retraite continuant de tirer les ficelles des affaires du Vatican.
« Un pape en retraite et un pape en activité, c'est inimaginable. On peut très bien imaginer les médias du monde entier en train de traquer le pape en retraite pour lui faire dire le contraire de ce qu'aura dit son successeur. Ou encore, certains cardinaux ou certains monsignori de la curie, en train d'essayer d'avoir l'aval du pape à la retraite pour se faire mousser auprès du pape en activité », explique Bernard Lecompte, auteur du livre Les derniers secrets du Vatican.
En réalité, dans ce flou juridique, tout tiendra à la personnalité de Benoît XVI. « Il y aurait un risque si le pape à la retraite voulait garder une certaine présence médiatique, poursuit le père Cédric Burgun. Vu la manière dont Benoît XVI a voulu organiser sa retraite, il est fort probable qu'on ne l'entende pas s'exprimer dans les médias. Si Benoît XVI tenait vraiment à être présent médiatiquement, alors peut-être qu'à un moment donné, son successeur, établirait une loi pour limiter les choses. Mais je ne suis pas sûr qu'il faille faire passer une loi maintenant, qui paraîtrait restrictive et qui donnerait le sentiment de condamner ce qui se fait actuellement ».
Retraite vaticane
Benoît XVI a choisi de se retirer dans le monastère Mater Ecclesia, juste derrière la basilique Saint-Pierre, à quelques encablures des appartements pontificaux. Ce bâtiment tout en briques a été construit en 1994, à la demande de Jean-Paul II. Fini le faste du palais du Vatican et les peintures de Raphaël, le pape émérite vivra dans une des douze cellules de l'édifice. Il jouira d'une petite bibliothèque, d'un verger de citronniers et d'orangers et d'une sobre chapelle de cinq mètres sur sept.
Ce dépouillement témoigne bien de l'intention de Benoît XVI de se tenir à l'écart des affaires du Vatican, selon Caroline Pigozzi, journaliste à Paris Match et auteur du Vatican indiscret. « Benoît XVI n'est pas un politique du tout. C'est un intellectuel, théologien, très intériorisé. Il va sûrement vivre comme un vieux bénédictin. Il va retrouver la sérénité. Benoît XVI est passionné de musique, notamment de Mozart et Bach. Ça le détend beaucoup de jouer du piano, des quatre mains avec son frère. C'est une chose qui lui a beaucoup manqué et qui faisait partie de son équilibre. Il a besoin de jouer du piano ».
Depuis sa construction, le monastère est occupé par des religieuses d'ordres divers. Certaines soeurs Memores Domini, qui assistaient Joseph Ratzinger lors de son pontificat, devraient également l'accompagner. La présence de son secrétaire particulier, l'archevêque allemand Georg Ganswein, fait néanmoins polémique. Le « bel Giorgio », comme l'appellent les Italiens en raison de son physique avantageux, devrait rester également préfet de la maison pontificale. Et pour certains membres du Vatican, il y a là conflit d'intérêt.