Si l'on s'intéresse tant au fonctionnement de l’espace Schengen, c'est pour une raison simple : la crise ne permet pas à la Grèce, pays membre, de bien surveiller sa frontière avec la Turquie. Du coup, ce relâchement facilite le passage de nombreux immigrés clandestins vers d’autres pays appartenant à l'espace Schengen, en raison de la disparition des contrôles aux frontières internes.
Le problème a été largement exploité par Nicolas Sarkozy, l'ancien président français, durant la campagne électorale. La France avait ainsi demandé, avec l’Allemagne, de prévoir la possibilité pour les Etats signataires de la Convention de Schengen de rétablir temporairement des contrôles à leurs frontières nationales, dans des situations jugées « exceptionnelles ». Dans ce contexte, on parle d’un « renforcement » de l’espace Schengen.
Schengen, « pas si défaillant que ça »
Seulement, le terme n’est pas forcément compris de la même façon dans tous les pays signataires. « Je ne suis pas certaine que tous les Etats membres aient la même idée derrière la tête quand on parle de renforcement, remarque Sylvie Guillaume, la vice-présidente du groupe Socialistes et démocrates au Parlement européen. Du point de vue grec, cela veut certainement dire être mieux aidé pour lutter contre les franchissements qui ont lieu à la frontière avec la Turquie ».
En revanche, pour d’autres pays, notamment lors du « Printemps arabe », le renforcement de l’espace Schengen rimait surtout avec la volonté de fermer les frontières intérieures.
Malgré toutes les tensions internes et les interprétations divergentes de son contenu, le système Schengen fonctionne plutôt bien. Le public le considère comme l’un des acquis les plus précieux de l’UE. La Commission européenne vient de publier un bilan de son fonctionnement sur les six derniers mois. « Selon ce document, souligne Sylvie Guillaume, le système Schengen présente assez peu de faiblesses graves. Il faudrait surtout voir comment on obtient une meilleure solidarité entre les Etats membres, comment on aide mieux ceux qui ont une pression plus forte, plutôt que de réformer à nouveau un système qui n’est pas si défaillant que ça ».
Bruxelles : plus d’Europe, moins d’Etat
L’eurodéputée socialiste française ne semble donc pas tenir particulièrement à des réformes profondes du système. La Commission européenne, elle, veut des réformes allant plutôt à l’encontre de ce que proposait Nicolas Sarkozy. Pour elle, il faudrait limiter, et non renforcer, le rôle des Etats dans la prise de décisions concernant l’espace Schengen. Pour Michele Cercone, porte-parole de Cécilia Malmström, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, « il faut mettre plus d’Europe dans Schengen ».
Le maintien de la prépondérance de décisions nationales au sein du système fait, selon Michele Cercone, que « la liberté de circulation, qui concerne environ 400 millions de personnes, dépend des décisions de chaque Etat membre, sans que les autres puissent vérifier la situation ». La Commission, explique le porte-parole, propose la solution suivante : « Les Etats membres gardent leurs compétences et souveraineté quand il s’agit de décider s’il y a des raisons d’ordre public ou de sécurité interne qui amènent à réintroduire temporairement des contrôles aux frontières internes. Mais, une fois la décision prise, il faut un accord des autres Etats membres pour la proroger. »
Effets collatéraux de la liberté
Ainsi, manifestement, la Commission n’estime pas que l’espace Schengen puisse servir d’outil pour gérer les migrations. Son rôle consiste toujours à assurer la libre circulation des personnes sur son territoire. Toutefois, personne n’ignore que l’arrivée parfois massive d'immigrés dans certains pays représente l’un des effets collatéraux de cette liberté. Et ceux qui essayent de comprendre les arrivants, de les aider et de protéger leurs droits, posent forcément un autre regard sur le fonctionnement de l’espace Schengen.
« Nous sommes confrontés à des déplacements des personnes qui n’ont d’autre choix que de se déplacer, en raison des conditions d’existence qui prévalent dans leurs pays, explique ainsi Olivier Clochard, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et président du réseau Migreurop. Il faudrait plutôt aller vers une libéralisation de la circulation des flux migratoires. Mais c’est vrai, nous en sommes très loin. L’UE n’accueille qu’une infime partie des populations migrantes à l’échelle mondiale. Certains pays du Sud sont confrontés à bien plus d’arrivées à leurs frontières ».
Parmi les exemples flagrants et récents de ce type de situations figurent les voisins de la Libye au printemps 2011. « La Tunisie et l’Egypte ont été confrontées à des arrivées massives de personnes, et l’Europe a été quand même relativement protégée durant toute cette période », poursuit Olivier Clochard.
Nouveau gouvernement : continuité ou rupture?
Nicolas Sarkozy, qui n’était certainement pas favorable à « une libéralisation de la circulation des flux migratoires », et qui militait pour la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières nationales, n’est plus président de la République. Le nouveau gouvernement français va-t-il jouer la continuité et maintenir ses propositions ? C’est ce que l’on va pouvoir déduire des conclusions de la réunion ministérielle à Luxembourg.
L’eurodéputée socialiste Sylvie Guillaume semble avoir des attentes claires dans le domaine : « Je souhaite qu’on en revienne à une gestion apaisée de ces questions, une gestion plus ouverte, plus tranquille et plus fermement ancrée sur les principes européens. J’espère que le gouvernement français ira dans cette direction ».
Reste à savoir quelles sont les attentes des principaux partenaires du gouvernement français… et ses propres objectifs en la matière.