Même si elle n’était pas destinée au jour de sa naissance à coiffer la couronne d’Angleterre - son père George VI ne devint roi qu’en raison de l’abdication d’Edouard VIII – Elizabeth II eut très tôt conscience de la lourdeur de la tâche qui lui incomberait un jour. « Je déclare devant vous que toute ma vie, qu’elle soit longue ou brève, sera consacrée à vous servir et à servir la grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous ». Ces mots, Elizabeth les a prononcés dès 1947, cinq ans avant de devenir souveraine, lors d’un voyage en Afrique du Sud, après un trajet au long cours en bateau durant lequel elle avait eu le temps de méditer sur son avenir.
Une mission : servir
Servir, c’est ce qu’elle s’est attachée à faire depuis le début de son règne, entamé il y a soixante ans, le 6 février 1952. Paradoxe d’un destin qui en est jalonné, elle fut d’ailleurs, ce jour-là, l’une des dernières Britanniques à savoir qu’elle était reine. Lorsque George VI succomba à une thrombose, elle se trouvait dans la brousse kényane en plein safari-photo. Après une série de quiproquos et de maladresses dans les communications, elle n’apprit le décès de son père adoré que tard dans la journée. Le long vol du retour à Londres lui laissa le temps d’habiter son nouveau rôle et, soixante ans plus tard, la quasi-totalité des Britanniques diront qu’au bout du compte son parcours s’est déroulé sans fausse note.
« Les Britanniques peuvent être contre la monarchie mais pas contre la reine », résume un journaliste anglais, une façon de dire que si le système monarchique peut être discuté, le personnage de la reine demeure inattaquable, à travers les générations. Dans l’Angleterre morne et grise de l’après-guerre, son couronnement le 2 juin 1953 a marqué l’arrivée d’une nouvelle ère ; entre le lent démantèlement d’un empire et l’arrivée subite de la télévision ; une période de transition où l’Angleterre perdit son hégémonie et ses territoires mais garda sa fierté, sa singularité.
Depuis son accession au trône, Elizabeth est demeurée ce socle inamovible, icône de la nation, toujours impeccablement habillée mais totalement imperméable à la mode, gardant ses distances en toute circonstance, au point de paraître à beaucoup incapable de sentiments. Les soubresauts les plus douloureux de ce parcours sans faux pas eurent lieu au milieu des années 1990, entre la fameuse annus horribilis de 1992 durant laquelle trois de ses quatre enfants divorcèrent et où un incendie détruisit une partie du château de Windsor et la fin de l’été 1997, quand son absence de réaction au décès de la princesse Diana fut perçue comme un manque d’humanité par une très grande majorité de Britanniques.
Une vraie professionnelle
Il fallut alors la persuasion du tout nouveau Premier ministre Tony Blair pour la convaincre d’aller à la rencontre de son peuple éploré devant les grilles du palais de Buckingham, un épisode clef pour l’image, voire l'avenir, de la monarchie, séquence remarquablement portée au grand écran dans The Queen, le film oscarisé de Stephen Frears. Consciente que les temps changent même si, elle, reste immuable, la reine a dû accepter au fil des ans de voir le budget annuel de la maison royale se réduire de moitié, passant de 70 millions de livres au début des années 1990 à 30 millions aujourd’hui (environ 36 millions d'euros).
Et pour son jubilé de diamant, dont les festivités s’étendront jusqu’au mois de juin avant de laisser place aux Jeux Olympiques, elle ne recevra pas un yacht en cadeau, comme il en avait été un moment question. La mise hors service de son cher Britannia en 1997 lui avait pourtant arraché une larme. Mais en ces temps de crise économique, la Grande-Bretagne a plus que jamais besoin de réduire la voilure. Reste l’essentiel, l’image d’une personnalité qui continue de « faire le boulot » malgré ses 85 ans et qui n’a « jamais cherché à plaire », des qualités inestimables qui valent à la personne la plus photographiée au monde d’être aimée dans son pays et admirée au-delà.