Ukraine : charbon et acier à Donetsk

Un ciel bas, des usines et des mines de charbon, bienvenue dans l'est de l'Ukraine. Le Donbass, c'est la région natale du président Ianoukovith et le coeur industriel du pays. Pourtant, même ici, les conditions de vie deviennent chaque jour un peu plus difficiles et une colère sourde est en train de monter.

De notre envoyé spécial à Donetsk,

Casque vissé sur la tête, deux ceintures de cuir qui enserrent la toile de l'uniforme, ils sont une quarantaine à prendre place dans l’ascenseur qui descend vers les entrailles de la terre. Les visages sont graves, les conversations sont rares. Un regard encore vers la lumière de la surface et c'est la plongée dans le noir. On devine la paroi rocheuse qui défile, des filets d'eau s'écoulent sur la cage de métal. Aujourd'hui, les mineurs de Krasnolimanskaya vont creuser le charbon à plus de 1000 mètres de profondeur, cassés en deux dans des tunnels qui n'atteignent parfois qu'un mètre cinquante de hauteur. Six heures de travail avant la relève et la prochaine équipe. Deux milles ouvriers sont employés ici.

Stakhanov du XXIe siècle

Igor Sokolenko, 32 ans, est responsable de la sécurité à Krasnolimanskaya. Avant de descendre, il touche toujours du bois, puis crache trois fois derrière son épaule gauche. Une vieille superstition russe qui lui a peut-être sauvé la vie. « Il y a des morts, il y a des accidents. En 2008, une explosion a tué 35 personnes dans une galerie. Cela fait beaucoup, c'est sûr. Vous savez, c'est cela les mines de charbon. »

Dans les galeries, les hommes consolident les structures de béton qui s’effondrent avec des poutres de bois, des tuyaux sont enfoncés entre les couches de charbon pour extraire le méthane et, au plafond, des centaines de petits sacs de toile sont suspendus. « Pour balancer de la poussière et éteindre les flammes en cas d'incendie », explique Igor, « ensuite, le charbon peut continuer à se consumer durant des semaines, sans que nous puissions faire grand chose ».

Les mineurs de l'Est de l'Ukraine ont appris à être fataliste, cela fait 150 ans qu'ils creusent le bassin houiller du Donbass. C'est dans cette une région que s'installèrent les premiers hauts fourneaux de l'empire russe. C'est ici que l'URSS bâtit un des centres névralgiques de son complexe militaro-industriel. En 1935, le mineur Alekseï Stakhanov parvint, selon la légende, à extraire 102 tonnes de charbon en dix heures.

Melting pot

A 80 kilomètres de Krasnolimanskaya, la grande cité industrielle de Donetsk étale ses immeubles gris au pied des terrils. Une statue de Lénine et des fresques à la gloire des combattants de la Seconde Guerre mondiale montent toujours la garde sur les avenues boueuses du centre ville. Russes, Ukrainiens, Biélorusses, Arméniens, Grecs, au XXe siècle, des centaines de milliers de personnes s'installent ici, il faut des bras pour les usines métallurgiques. « Dans le Donbass, personne ne s'inquiète de savoir quelle est votre origine, ni d'où vient votre famille », souligne Oleksiy Panych, professeur de philosophie à l'université technique de Donetsk, « seule compte la solidarité de l'ouvrier ».

A la chute de l'Union soviétique, c'est un monde qui s'effondre, celui de la sécurité d'une vie bien réglée à œuvrer pour la grandeur de l'empire. « Personne ne se considère comme ukrainien », ajoute Oleksiy Panych, « même si les gens ne souhaitent pas non plus se rattacher à la Russie. »

Après 1991, la région subit de plein fouet la transition libérale. Des 230 mines de charbon en activité au début des années 1990, il n'en reste plus que 95, même si les industries du Donbass apportent encore 25% des rentrés en devise de l'Ukraine. Les investissements de l’État se sont taris et les conditions de sécurité se sont détériorées. « Nous avons besoin d'argent pour soutenir l'industrie. La plupart des équipements ont besoin d'être rénové, modernisé ou remplacé. Ce manque de soutien financier entraîne des accidents », souligne Yana Khamenko, professeur d'économie à l'université technique de Donetsk.

Les hommes du président

Cet été, une quarantaine d'ouvriers ont perdu la vie dans deux mines de la région, et ce, malgré les déclarations rassurantes du président Ianoukovitch qui répète inlassablement que la sécurité va être renforcée.

Le bassin industriel du Donbass, c'est le fief électoral de Viktor Ianoukovitch, née dans la bourgade de Ienakievo, petite cité dortoir des usines métallurgiques voisine. C'est dans la rue que le président ukrainien fait ses premières armes, c'est là qu'il rencontre ceux qui permettront son ascension fulgurante.

Dans les années 1970, Viktor Ianoukovitch est condamné à deux reprises pour vol et violence, mais l'homme a du flair et sait choisir ses amis. Soutenu par Rinat Akhmetov, l'homme le plus riche du pays, et par les oligarques du « clan de Donetsk » qui ont fait fortune dans les années 1990 en mettant la main sur toutes les industries lourdes du Donbass, l'ancien délinquant gravit toutes les échelons.

« Les règles d'Akhmetov et de Ianoukovitch sont celles de leur jeunesse : ne jamais oublier, ne jamais pardonner, ne jamais reculer, toujours prendre plus », continue Oleksiy Panych, « ils ont survécu aux guerres des gangs des années 1990 car ils étaient les plus malins et les plus déterminés. »

Classe ouvrière désabusée

On ne tire plus à la Kalachnikov dans le centre de Donetsk, quelques magasins de luxe ont fait leurs apparitions, et l'on croise en ville plus de berlines de luxe qu'à Paris. Mais les inégalités se sont creusées et une colère sourde est en train de monter.

Aujourd'hui, Rinat Akhemov a invité le président ukrainien à l'inauguration d'un nouveau haut fourneau dans son usine sidérurgique de Ienakievo. Les carcasses noires des cheminées se découpent sur le ciel bas de la plaine ukrainienne, les officiels se relaient à la tribune et parlent d'avenir, de développement et d'environnement. Un manège que Sergueï, ingénieur dans l'usine, observe d'un œil désabusé. « Je ne gagne que 200 euros par mois. Que voulez-vous que je vous dise ? Est-ce un salaire décent ? Pour vivre ici, avec l'inflation et tout le reste ? »

Même dans le Donbass, les promesses du président Ianoukovitch ne font plus recette. La Révolution orange de 2004 n'avait pas mobilisé les foules dans l'Est du pays, mais, ici, la crise sociale devient chaque jour un peu plus évidente. Le président ukrainien sait manoeuvrer les oligarques et les différents clans de l'appareil d’État ukrainien, il lui faut maintenant apprendre à écouter la voix de ses concitoyens.

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