Les personnes qui sortent dans la rue pour crier « Rendez nous nos élections » ou « La Russie sans Poutine » sont pour une grande majorité des étudiants ou de jeunes actifs. Ils n’ont rien de radicaux : la plupart d’entre eux ne manifestent jamais ou très rarement. C’est le cas de Paulina : « C’est la première fois de ma vie que je participe à une manifestation. Après ces élections, les étudiantes de ma promotion qui sont très éloignées de la politique, se sont mises à aller aux manifestations. On raconte qu’on veut la révolution. On ne veut pas la révolution. On veut juste des élections honnêtes, sans fraudes ».
Ce n’est pas la première fois que des élections en Russie s’accompagnent de fraudes. Mais cette fois, internet les a rendues plus visibles. La toile russe regorge de vidéos et de récits de manipulations et d’irrégularités flagrantes. Selon Oleg Orlov, le président de Mémorial, internet a joué un rôle important dans cette mobilisation : « les gens qui jusqu’à présent étaient mécontents, mais qui exprimaient ce mécontentement sur internet, sont sortis dans la rue. Le rôle majeur qu’a joué internet, c’est qu’il a fait connaître au public les fraudes à l’élection. Grâce à internet, tout le monde a vu comment ils ont falsifié effrontément cette élection », souligne le responsable de l’Organisation de défense des droits de l’homme.
Des observateurs dans les bureaux de vote
La mission d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a relevé des irrégularités « fréquentes » et de « sérieuses indications de bourrage des urnes ». Plusieurs organisations avaient aussi déployé des observateurs.
C’est le cas de l’association Golos, qui a été victime d’une cyber attaque le jour du vote. En liaison avec cette ONG, le politologue Dmitri Orechkine a fondé un groupe baptisé l’Observateur citoyen, composé de plusieurs centaines de volontaires qui ont joué les observateurs dans les bureaux de vote dimanche 4 décembre 2011.
Selon lui, le score réel du parti Russie unie est de moins de 30% des suffrages, soit 20 points de moins que les résultats annoncés. Et si l’on prend Moscou, la différence est encore plus importante. Selon Dmitri Orechkine, « Russie unie a obtenu presque deux fois moins en réalité à Moscou. Son vrai score est de 25-26%, mais officiellement, elle obtient 46% : ça veut dire qu'on a rajouté 40%, plus d'un tiers en tout cas. Là où la possibilité de fraudes était réduite, les résultats sont en repli, tout comme le taux de participation, et parallèlement, les partis alternatifs gagnent les voix » , explique le politologue.
Ces partis d’opposition dénoncent les fraudes aux législatives, mais adoptent, le plus souvent une attitude réservée face aux manifestations. Quelques représentants de ces mouvements ont toutefois pris la liberté de sortir aux côtés des manifestants. C'est le cas du député Ilia Ponomarev, de Russie juste, le parti social démocrate, arrivé en troisième position, dimanche, avec 13% des voix ou encore de l'un des responsables du parti libéral Labloko, Sergueï Mitrokhine. Tous deux ont été interpellés mardi 6 décembre, avant d’être rapidement relâchés. Le parti communiste lui, a publié un communiqué pour dénoncer le « bâillonnement des citoyens », et réclamer la fin des « pogroms contre les opposants ».
« Un mouvement citoyen »
Ces manifestations sont organisées par l’opposition dite en dehors du système, celle qui
n'a pas reçu l'autorisation de participer à ce scrutin, avec des partis libéraux comme Parnas ou Solidarité ou encore, le front de gauche. Mais les participants restent le plus souvent étrangers à ces partis, selon Boris Kagarlitsky, de l’Institut de globalisation et des mouvements sociaux. « La majorité des gens qui sortent dans la rue, ne sont pas pour l’opposition, explique le politologue, ils sont contre le gouvernement, contre le système politique. C’est un autre type de mouvement, non pas un mouvement politique, mais plutôt un mouvement citoyen ».
Les autorités ont mis du temps à réagir publiquement à ces mouvements de protestation. Les télévisions, elles, ignorent, la plupart du temps les manifestations. Jeudi, Vladimir Poutine a mis en garde l'opposition, prévenant que tout débordement serait réprimé et insistant surtout sur le rôle néfaste joué, selon lui, par les Etats-Unis dans ces troubles.
Quant à Dmitri Medvedev, il a appelé à un « examen soigneux » des soupçons d'irrégularités : « pour cela, nous avons la Commission électorale et les tribunaux », a rappelé le chef de l’Etat, qui en début de semaine, avait émis des doutes quant à la véracité des centaines de vidéos circulant sur internet, montrant des fraudes dans les bureaux de vote.