Confortablement blottie au milieu des Alpes, entre lac Léman et lac de Constance, la petite Confédération helvétique, nombril du Vieux continent, coulait des jours heureux. Personne d’ailleurs ne venait lui chercher des noises, surtout pas les puissants de ce monde.
Sauf que la crise économique sans précédent qui souffle sur l’Europe depuis plus de trois ans ne connaît aucune frontière. Prospère avec un taux de chômage dérisoire (environ 3%), cette bulle habituellement très hermétique aux problèmes du monde qu’est la Suisse est aujourd’hui confrontée à une actualité brutale – franc suisse trop fort, immigration libyenne et tunisienne –, qui vient interrompre son ronronnement rassurant. Certains pays (Etats-Unis, Allemagne, France, Angleterre), en mal d'argent frais, courent après les fonds évadés de leurs riches ressortissants et pointent du doigt le sacro-saint secret bancaire. Progressivement, des systèmes de coopération fiscale se mettent en place.
Les Helvètes élisent ce week-end leur Assemblée fédérale, qui comprend le Conseil national (200 députés, représentants du peuple) et le Conseil des Etats (46 députés, représentants des cantons). Tout l’enjeu des échéances électorales de dimanche réside dans le score, a priori en hausse, qu’obtiendra l’UDC. De 55 membres élus au Conseil national en 2003, le premier parti suisse est passé à 62 en 2007, contre 43 pour le Parti socialiste, qui perdait 9 sièges. Et la tendance ne semble pas prête de s’inverser. L’UDC espère ainsi atteindre 30% de l’électorat.
Contexte favorable
La Suisse bénéficie de l’un des meilleurs niveaux de vie au monde, et elle entend bien le conserver. Les turbulences de l’euro et, en corollaire, la montée de la valeur du franc suisse qui atteint quasiment la parité (1€ pour 1,20 CHF, la Banque nationale suisse a dû fixer un taux plancher à sa monnaie) ne sont pas sans inquiéter l’échiquier politique. Dans les chaumières des cantons alémaniques et romands, l'argument du protectionnisme patriotique doit affronter un adversaire de taille : le voisin allemand, très compétitif, devenu le supermarché de la Confédération. Traverser la frontière pour faire ses courses, au détriment de l’économie helvétique, le sujet n’est plus tabou et divise les foyers.
Mais malgré cela, les urnes parlent et montrent régulièrement que les Suisses restent largement favorables à la préférence nationale. Selon un récent sondage, l’UDC serait créditée, dimanche, de plus de 29,3% des voix. La barre des 30% n’a jamais été franchie en Suisse depuis l’instauration du suffrage universel en 1919. Derrière, les autres formations, PS, Verts, radicaux, sont à la traîne et perdent des points. Les socialistes peinent à se stabiliser autour de 20%.
« Le succès de l’UDC est facile à expliquer et repose sur deux piliers : l’Europe et l’immigration, explique François Modoux, rédacteur en chef au journal suisse romand Le Temps. Aujourd’hui, la Suisse c’est 20% d’étrangers (des 8 millions d'habitants, ndlr), avec l’immigration la plus forte d’Europe. Celle-ci, souvent très qualifiée, est attirée par la qualité de vie offerte ici. Les loyers atteignent des prix exorbitants. Par ailleurs, regardez dans quel état se trouve l’Europe. Contrairement à la France ou l’Italie, sans parler de la Grèce, la Suisse maîtrise sa dette et ses finances publiques. Dans un tel contexte, le discours simpliste de l’UDC ne peut que séduire et pénètre aujourd’hui la classe moyenne qui se sent menacée. »
Des affiches de campagne fleuries
Dans ce contexte, l’UDC bat fièrement la campagne. Au prix fort : le parti a consacré, depuis le mois de mai, 7 millions de francs (5,6 millions d'euros) au battage publicitaire, contre 4,5 pour le Parti radical et seulement 1,5 pour le Parti socialiste. Ses ressources financières sont évaluées entre 15 et 20 millions de francs. Le bulldozer UDC définit l'agenda et impose son thème : l'immigration.
A coups de slogans souvent graveleux - « Tu niques la Suisse, tu gicles ! » - l’UDC joue la carte de la provocation et du populisme, se souciant peu des amalgames. Sa créativité s'était déjà illustrée lors de lors de l'initiative populaire que l'UDC a lancé en 2009 contre la construction de nouveaux minarets et que les Suisses avaient approuvée à 57%.
L'UDC a doublé son score entre 1995 et 2007. Sa progression actuelle est donc à relativiser comme le rappelle François Modoux : « L’UDC est un des rares partis à engranger quelques points. Mais compte tenu du contexte, si elle gagne seulement 0,5 points par rapport à 2007, ce sera finalement presque un mauvais score. »