« La poésie de Tomas Tranströmer est universelle »

Tomas Tranströmer. Voici donc le nouveau nom qu’il va falloir retenir, qu’il va falloir rajouter dans les livres de littérature à la rubrique poésie, avec en sous-titre : « Prix Nobel 2011 ». Une vie, une œuvre. Entretien avec son traducteur Jacques Outin, son unique traducteur en français.

 

RFI : Vous connaissez évidemment par cœur Tomas Tranströmer, mais pour le grand public c’est une découverte !

Jacques Outin : En fait oui et non. Etant donné que nous œuvrons depuis plus de vingt ans, en France, à faire connaître son œuvre, et évidemment, vous savez à l’heure actuelle, la situation de la poésie étant ce qu’elle est, il est extrêmement difficile de sortir du petit cénacle et en fin de compte… Oui, c’est un illustre inconnu, bien qu’il ait été publié, entre autres, par Gallimard.

RFI : On l’a découvert en France grâce à vous, à la fin des années 1980, alors qu’il est déjà traduit en 55 langues, et on dit en Suède que c’est l’un des rares auteurs à avoir joué un rôle dans la littérature mondiale. Dans quel sens ?

 

J.O. : Je pense qu’il est assez simple de répondre. Il a été très peu influencé par l’extérieur, c’est à dire par la poésie mondiale, mais il a rencontré des gens extrêmement importants dans le domaine poétique. Le point de départ c’est le surréalisme français, et donc international, à travers des publications rarissimes quand même, en Suède, à la fin des années 1950. Et donc peu à peu, on a appris qu’il y avait un poète de dimension universelle, Tomas Tranströmer. Ils sont tous venus le voir, en Suède. Parmi eux évidemment, des auteurs qui eux, ont été les précurseurs. C'est-à-dire qu’ils ont eu le Prix Nobel avant lui.

RFI : Certains disent de Tranströmer qu’il est capable de provoquer l’admiration générale. Ca veut dire que sa poésie, ses textes, sont à la portée de tous ?

 

J.O. : Ses textes sont d’une simplicité extrême, tout un chacun se sent concerné, tout un chacun s’y retrouve, retrouve ses expériences, donc, marquantes. Et il est dans sa poésie, le reflet de toute existence, de toute existence individuelle, bien entendu. Il aborde des sujets qui sont universels, sa poésie est universelle, bien qu’elle soit suédoise. Il est d’autant plus suédois, qu’on ne retrouve la Suède nulle part dans son œuvre. On retrouve Shanghai, on retrouve New York, on retrouve un tas de choses ! On trouve Lisbonne, on trouve Venise ! C’est quelqu’un qui a beaucoup voyagé, qui voyage beaucoup ! Par contre on ne retrouve pour ainsi dire jamais Stockholm ou les villes moyennes dans lesquelles il a vécu. Ce qui fait qu’en fin de compte, on retrouve la Suède dans la nature suédoise : la forêt, l’archipel de Stockholm, les îles…

Il y a évidemment, quelques petits cailloux blancs qui nous mènent dans cet univers qui est si typique pour les Suédois, où tout un chacun se retrouve. Ils sont en communion avec la nature, c’est quelque chose de mystique. Et j’ai l’habitude – ou j’avais l’habitude – de dire que dans le domaine francophone, la nature c’est quelque chose qui se cultive. C’est un domaine agraire. Alors qu’en Suède c’est un domaine – non pas avec lequel – mais dans lequel, à l’intérieur duquel on vit. Donc ce qui donne un certain sens à cette forêt, à ces ciels, à ces crépuscules, à cette obscurité de l’hiver, à cette clarté de l’hiver. Toutes ces choses habituellement vécues comme une normalité, par tout un chacun qui vit dans le Nord ou qui a vécu dans le Nord.

RFI : Certains de ses poèmes sont sous la forme de haïku. Est-ce qu’il a effectivement été inspiré, influencé, par la poésie japonaise ?

 

J.O. : Oui, aussi. Il a été influencé par la philosophie chinoise et autre. C’est vrai. Mais il ne faut pas oublier une chose – c’est là que j’aimerais passer un petit peu à la biographie – c’est que Tomas Tranströmer a été terrassé par une commotion cérébrale, qui l’a laissé en 1990 aphasique d’une part, et hémiplégique d’autre part. Donc, sa mobilité est extrêmement réduite, et il était du jour au lendemain, quasiment dans l’impossibilité d’écrire des poèmes longs comme Les Baltiques, par exemple, immense symphonie poétique. Donc, le haïku est une solution face à l’aphasie.

 

Jacques Outin était l'invité de "Culture Vive". Ecoutez l'intégralité de l'interview avec le seul traducteur en français de Tomas Tranströmer, prix Nobel de littérature 2011.

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