RFI : Georg Baselitz, un peintre allemand… et un sculpteur. Etes-vous d’accord avec cette hiérarchie ?
Georg Baselitz : Non, tous les deux ont la même valeur.
RFI : Dans votre peinture, vous renversez souvent les choses, vous faites tourner la tête aux spectateurs. Quel est le mot clé pour comprendre vos sculptures ?
G.B. : Le résultat est naturellement différent. L’un est une chose et l’autre est une image. Ce n’est pas une représentation, mais une abstraction sur une surface. La peinture est peut-être plus difficile ou plus intellectuelle, parce qu’une sculpture est aussi un jouet. Une sculpture est beaucoup plus sensuelle et plus proche à nos sentiments qu’une peinture. Ce n’est pas un problème, mais un fait. Si vous vous laissez emporter par la sculpture, vous vous laissez emporter par le problème.
RFI : Tout au début du parcours nous accueille Modell für eine Skulptur (Modèle pour une sculpture). En juin 1980 dans le pavillon allemand de la Biennale de Venise, le bras droit levé de cette sculpture monumentale a été (mal-)interprété comme un salut hitlérien. Pour vous ,c’est le prototype de votre œuvre sculpturale. Quels sont les ingrédients ?
G.B. : Les ingrédients, c’est la tradition et l’histoire. Quand je fais quelque chose, j’ai naturellement une vision ou une forme devant mes yeux que je souhaite réaliser. Mais elle reste vague. Ce qui est absolument acquis, c’est le passé. Tout ce que j’ai vu, je l’ai enregistré. Je connais toutes les sculptures qui ont été réalisées. Je connais la sculpture allemande après 1900 et avant 1900, mais aussi celle du 14e siècle. Et je connais aussi la sculpture italienne, anglaise, française etc. C’est la matière avec laquelle je peux travailler. Mais on ne peut pas faire la soustraction ou l’addition. Il faut toujours recommencer à nouveau. Quelque part.
RFI : Vous avez été nommé Chevalier de l’ordre des arts et des lettres en 1987, après Officier en 1992 et Commandeur en 2002. Votre œuvre a été très influencée par des artistes qui ont travaillé à Paris : Antonin Artaud, Jean Dubuffet, Pablo Picasso, Vassily Kandinsky… Quelle est votre relation avec la France ?
G.B. : Quand j’ai commencé, l’Allemagne était une ruine. Il n’y avait pas d’artistes, pas d’hiérarchie, pas de musées. Les régimes sous lesquels j’ai grandi, le nazisme et la RDA, m’ont privé de tout ce qu’un artiste a besoin : ils ont vidé les bibliothèques et confisqué des livres, des peintures. Quand j’étais à l’école et à l’Académie des beaux-arts, c’était une époque très pauvre en information.
Venir en France, c’était la première occasion de vivre une situation culturelle intacte qui était grandiose à l’époque, parce qu’il y avait encore les immigrés qui vivaient et travaillaient ici, comme Picasso, et qui étaient très importants pour Paris. Depuis ces immigrants sont décédés, la situation ici est devenue très pauvre. A l’époque, tout était très excitant, incroyablement important et informatif. Je n’ai plus jamais oublié tout ce que j’ai vu et qui fait partie de mon fond : Chaissac, Michaux, Artaud, Picabia que j’ai vu la première fois ici à Paris.
RFI : Dans l’exposition, vous n’avez pas laissé vos sculptures toutes seules. Il y a aussi des dessins et des peintures, dont sept réalisées au printemps 2011. Les sculptures sont souvent peintes. Est-ce que cela fait partie de la conjuration des esprits que vous évoquez si souvent? Avez-vous besoin de la peinture pour vos sculptures ?
G.B. : Je ne dirais pas que j’en ai besoin. Je dois toujours me prouver quelque chose. Je peux me creuser la tête et y réfléchir. Mais finalement, je dois faire des documents. Les peintures, les dessins et les sculptures sont des documents pour ma vie ! C’est un peu comme un journal intime. Ici, 30 ans de ma vie sont représentés.
« Baselitz sculpteur », au Musée d’art moderne de la ville de Paris, du 30 septembre au 29 janvier 2012.