A 80 ans - il est né le 11 mars 1931 -, Rupert Murdoch a-t-il perdu la main ? Pas sûr. Comme les crocodiles de son Australie natale, le vieux magnat de la presse a encore la peau dure et les dents acérées. Et bien qu’il traverse une très mauvaise passe à l’heure actuelle outre-Manche (1), le fondateur de News Corp. en a vu d’autres, tout au long d’une carrière commencée au début des années 50 à Adelaïde, en Australie méridionale. Keith Rupert Murdoch n’a que 22 ans lorsqu’il hérite, en 1953, de l’Adelaide News, un quotidien régional que lui a légué son père et qui perd de l’argent.
Succès immédiat
Après des études à Oxford et un stage au très conservateur Daily Express de Londres, l’ambitieux Rupert applique la méthode qui va faire sa fortune : faire dans le sensationnel sans s’embarrasser de principes. L’Adelaide News est déjà passé au format tabloïd en 1948 (en raison, pour l’anecdote, des restrictions de papier) mais il va quadrupler ses ventes en peu de temps, passant de 75 000 à 300 000 exemplaires, des chiffres remarquables dans l’un des Etats les moins peuplés du pays.
Fort de ce succès, le jeune Murdoch obtient les appuis financiers et politiques nécessaires pour se constituer, en l’espace d’une décennie, un véritable empire de presse à l’échelle australienne, rachetant tour à tour une vingtaine de quotidiens avant de créer en 1964, The Australian, devenu depuis la référence nationale. L’île-continent est devenue trop petite pour lui et le voilà de retour à Londres, capitale mondiale du tabloïd. Quelques mois après avoir acquis le désormais défunt News of the World en 1969, Murdoch souffle le quotidien The Sun à Robert Maxwell qui s’apprêtait à l’acquérir.
Prêt à tout pour parvenir à ses fins, il a assuré aux syndicats que The Sun resterait un journal intègre et qu’il continuerait à soutenir le Parti travailliste. Un an plus tard, la page 3 du journal expose tous les jours la photo d’une jeune femme dénudée. Puis le quotidien devient, à partir de 1979, l’un des plus ardents supporters du thatchérisme. « J’ai toujours été étonné de la facilité avec laquelle j’ai pu pénétrer le marché anglais », dira plus tard Murdoch. A ce jour, The Sun (2,7 millions d’exemplaires) reste le journal de langue anglaise le plus lu dans le monde.
La conquête de l’Amérique
Rupert Murdoch profite ensuite d’un conflit social de plus d’un an au Times pour s’offrir l’un des titres les plus prestigieux au monde, fondé en 1785. Il a alors déjà étendu son empire aux Etats-Unis avec l’acquisition, dès 1973, du San Antonio Express News, puis du Star, tabloïd vendu dans les supermarchés, avant d’acquérir le New York Post, dont il va faire un Sun à la sauce américaine. Papivore insatiable dans la presse mais aussi dans l’édition, Murdoch devient également un acteur majeur du paysage audiovisuel mondial.
Après s’être fait la main en Australie, il achète le bouquet Sky TV en Grande-Bretagne, Star TV à Hong Kong et le studio hollywoodien Twentieth Century Fox qui possède également son réseau TV. Devenu citoyen américain en 1985 - une obligation pour posséder une chaîne de télévision aux Etats-Unis -, Murdoch lance en 1986 la Fox Broadcasting Company, en s’endettant durablement. Le risque s’avère payant car l’audience de Fox ne va cesser de croître, notamment grâce à l’acquisition de droits sportifs (football américain, hockey NHL, baseball et Nascar) et à des séries à succès (Beverly Hills 90210, les Simpsons, puis American Idol, Dr House, etc.).
Comme il l’avait déjà fait en Grande-Bretagne avec ses journaux, Murdoch devient également un acteur politique influent outre-Atlantique à travers la chaîne d’information Fox News, ouvertement prorépublicaine et qui apportera un soutien sans faille à George W. Bush durant ses huit ans passés à la Maison Blanche. Réputé pour être à la fois réactionnaire, ultralibéral et néoconservateur, le magnat australo-américain - qui a ajouté le groupe de presse économique Dow Jones à son tableau de chasse en 2007 - ne répugne cependant pas à changer de camp, au gré de ses intérêts. Ainsi a-t-il apporté son soutien au travailliste Tony Blair durant ses dix ans à Downing street.
Nouveaux horizons
Visionnaire et obstiné - à titre d’exemple, Fox est désormais nunméro un en audience devant les trois autres grands networks aux Etats-Unis -, Murdoch cherche toujours sa voie dans le secteur de la presse en ligne. Après avoir voulu entrer en guerre avec le moteur de recherche Google qu’il accusait de « le voler », puis avoir connu un échec retentissant avec le réseau social Myspace (vite dépassé par le phénomène Facebook, Myspace a été revendu largement à perte en juin dernier), Murdoch a lancé en février The Daily, un quotidien en ligne disponible par abonnement (99 cts la semaine, 39,99 dollars à l‘année), édité en collaboration avec Apple et spécialement conçu pour l’iPad. L’avenir dira si cette innovation s’avèrera… payante. En attendant, le tout-puissant Rupert a d’autres problèmes à régler en Grande-Bretagne.