Distribution gratuite de frites, concerts, lâchers de ballons – au lieu de céder à la morosité ambiante, les Belges ont choisi une ambiance festive pour marquer le coup de ce record mondial. Certains avaient « célébré » cet événement, inédit en Europe, dès le 17 février, au 249ème jour sans gouvernement. En 2010, les Irakiens avaient en effet mis 249 jours pour conclure un accord de partage du pouvoir. Il aura fallu encore 40 jours de plus pour qu’un gouvernement puisse prêter serment.
Le fossé entre Flamands et Wallons se creuse
En revanche, en Belgique, rien n’indique la fin de la crise. Le blocage est total, depuis que les électeurs se sont rendus aux urnes le 13 juin 2010. Le fossé entre Flamands d’un côté et Wallons de l’autre ne fait que se creuser davantage. Les partis flamands ne cessent de réclamer une forte autonomie régionale pour pouvoir réduire le transfert de fonds vers la Wallonie, région plus pauvre. Les francophones de la Wallonie, eux, continuent à refuser toute décentralisation accrue, par crainte de perdre l’appui financier de la Flandre et d’une scission du pays.
Mais au moins en apparence, le royaume belge semble fonctionner, malgré les incertitudes qui pèsent sur son avenir. Depuis juin dernier, un régime des « affaires courantes » est en vigueur et prend des décisions. La présidence belge de l’Union européenne a été une réussite, et ces derniers jours, le budget de l’Etat 2011 a pu être adopté. A la surprise générale, la Belgique a par ailleurs fait preuve d’unité au moment de la crise en Libye : les députés ont voté à la quasi-unanimité l’envoi de six avions F-16 et d’un navire chasseur de mines pour contribuer à la coalition internationale, mise sur pied contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi.
« La Belgique : une démocratie ? Bof… »
Pourtant, le quotidien belge Le Soir titre ce mardi 29 mars : « La Belgique, une démocratie ? Bof… ». Selon le journal, l’avis de l’électeur compte pour du beurre, puisque le pouvoir est reparti sur la base des résultats électoraux de 2007. Dans le gouvernement « Leterme II », le Parti socialiste occupe un rang correspondant à son débâcle électoral d’il y a quatre ans. Les chrétiens-démocrates (CD&V) ont gardé tous les postes importants, alors qu’ils avaient enregistré, en juin 2010, un score historiquement bas. De son côté, l’autre grand vainqueur des législatives, le parti Nouvelle alliance flamande (N-VA) n’appartient même pas au cabinet.
Mais tout prête à croire que le conflit qui mine le pays depuis 2007 arrange une partie de la classe politique. D’abord ceux qui gèrent les affaires courantes, c'est-à-dire les chrétiens-démocrates flamands du CD&V qui occupent les postes clés dans le gouvernement du Premier ministre démissionnaire Yves Leterme, et cela en dépit de leur médiocre résultat électoral.
Ensuite, les vainqueurs du scrutin 2010 en Flandre, les indépendantistes de la N-VA, trouvent eux aussi leur compte. Leur chef de file, Bart de Wever, s’est montré intransigeant vis-à-vis des Wallons, et pour cause : c’est bien à lui que profite la situation. Selon un sondage publié par le quotidien La Libre Belgique, Bart de Wever a su conforter son statut d’homme politique le plus populaire chez les néerlandophones, avec 57% d’opinions favorables. A ses yeux, l’interminable crise identitaire ne peut qu’apporter la preuve qu’un Etat fédéral fort est inutile et qu’une séparation à l’amiable apportera la solution.
L’opposition, pendant ce temps, est neutralisée. Elle ne peut même pas menacer le gouvernement de démissionner, car le Premier ministre Yves Leterme, l’a déjà fait. Le Parlement n’a donc plus de moyens de pression sur lui. Comme le dit le député flamand Eric van Rompuy, frère du président de l’UE : « Ce pays est plongé dans le coma et cela va encore continuer. »