Après six ans au pouvoir dont deux au moins à tenter d’empêcher son pays de couler, le Premier ministre démissionnaire continue de susciter la perplexité. Alors même qu’il formalise sa démission devant les caméras de télévision mercredi 23 mars à l’issue du rejet de son programme d’austérité, Socrates annonce en même temps « qu’il est candidat à sa propre succession ». Bien sûr, les mots sont moins directs, mais la décision est claire. Au lendemain de cet épisode, la presse saluait le « guerrier Socrates, celui qui a perdu la bataille mais pas la guerre, celui qui s’en va mais prépare déjà son retour, un homme déterminé qui n’a pas dit son dernier mot ».
Une reconnaissance en somme, de son habileté politique, déroutante, risquée, un rien schizoïde mais somme toute environnée du panache de l’audace et du courage. Plus curieux au premier abord, un chroniqueur en a fait « un rat », comme dans les fables de Jean de La Fontaine, un petit animal patient, rusé, à la persistance jamais démentie. Il ne s’agit en rien de caractéristiques physiques, mais Socrates partage avec le rongeur la patience et la ruse. Cette manière d’être en politique explique à elle seule le coup de théâtre que représente sa démission.
Comment expliquer que le responsable d’un gouvernement minoritaire brandisse ainsi la menace de s’en aller si l’opposition de droite refuse d’entrer dans son jeu une nouvelle fois. Une folie ? Pour quelques commentateurs portugais, peu nombreux du reste, Socrates a, dans la réalité, bien manœuvré. Considérant comme imminente une intervention de Bruxelles ou du FMI pour un sauvetage en règle de l’économie du Portugal, le chef du gouvernement démissionnaire a choisi de prendre les devants, et de rendre ainsi l’opposition responsable de l’échec du programme de stabilité et de croissance. Au passage, il prend de court le leader social démocrate Pedro Passos Coelho, qui misait plutôt sur une démission du gouvernement au moment du vote du prochain budget à la fin de l’année. Et enfin, il se débarrasse d’une impopularité grandissante en tant qu’homme des mauvaises nouvelles et de l’austérité sans fin.
Un pays dans la tourmente
Les Portugais ne se sont pas montrés très surpris par la démission de Socrates. Ils ne voient qu’une chose : les tours de vis successifs, les sacrifices demandés, et leur pays qui s’arrête faute d’argent et d’enthousiasme. Les mesures d’austérité décidées en octobre 2010 lors du budget de l’Etat sont effectives depuis janvier, et affectent le quotidien. L’augmentation de la TVA, le prix de l’essence qui monte en flèche, les transports publics plus chers de 10 ou 12%, le chômage qui grimpe sans discontinuer (11% de la population active), des milliers de jeunes diplômés sans travail, et qui pensent émigrer pour s’en sortir… La liste est longue.
Le climat social se dégrade. Les jeunes sont descendus nombreux dans les rues le 12 mars dernier pour protester pacifiquement contre le manque absolu de perspectives. Entre deux hochements d’épaules en signe de résignation, le discours est le plus souvent celui-ci : « Que vienne le FMI ! ». Et qu’importe la couleur politique qui sera au pouvoir, car il faudra payer la crise.
A partir de maintenant et pendant les deux mois qui vont précéder la tenue des législatives anticipées, c’est sur ce terrain que José Socrates devra labourer, sous peine de ne plus pouvoir revenir marquer un nouvel épisode de la vie politique de son pays, et de justifier le sobriquet dont targue lui-même, « Animal politique ».