Biélorussie: Alexandre Loukachenko investi président pour un quatrième mandat

Une cérémonie au Palais de la République à Minsk a marqué, le vendredi 21 janvier, l’investiture d’Alexandre Loukachenko pour son quatrième mandat comme président biélorusse. Président qui reste l’homme fort du pays, mais qui semble de plus en plus isolé et solitaire.

Lors de la cérémonie d’investiture, Alexandre Loukachenko était entouré de députés biélorusses et de juges des trois plus hautes juridictions de l’Etat : la Cour constitutionnelle, la Cour suprême et la Cour des comptes. Toutefois, beaucoup d’invités réels et potentiels manquaient à l’appel. Les ambassadeurs de tous les pays membres de l’Union européenne ont boycotté la fête, en choisissant cette journée précise pour quitter le territoire biélorusse et se rendre à une réunion en Lituanie. Les journalistes n’ont simplement pas été invités, sauf ceux de la télévision d’Etat, seule autorisée à suivre la céremonie en direct. Les principaux dirigeants de l’opposition, eux, n’ont pas été invités à venir au Palais de la République, mais à rester en prison.

Vague de répressions

En effet, il est très risqué en Biélorussie d’accuser Alexandre Loukachenko de fraudes électorales et de demander son départ. A d’innombrables violations des droits de l’homme commises par son régime depuis son arrivée au pouvoir, vient s’ajouter une nouvelle vague de répressions qui dure depuis le 19 décembre dernier, date de la réélection très contestée de Loukachenko, avec un fabuleux score de près de 80% des voix. Pendant une manifestation de protestation à Minsk, violemment réprimée, la police a arrêté 639 personnes, dont sept candidats de l’opposition à l’élection présidentielle. Pour la plupart, les manifestants s’en sont sortis avec des amendes ou des verdicts du rang de 10 à 15 jours de prison. Mais quatre candidats de l’opposition restent toujours incarcérés et – avec un cinquième, actuellement en liberté surveillée – risquent jusqu’à quinze ans de prison. Tout comme Irina Khalip, journaliste indépendante et femme de l’un des candidats emprisonnés Andreï Sannikov, arrêtée avec son mari lors de la même manifestation.

Le pouvoir s’acharne particulièrement sur ce couple. Leur fils de trois ans, devenu orphelin de facto du jour au lendemain, vit actuellement chez ses grand-parents maternels. Avec leur petit-fils, ils sont maintenant devenus une cible privilégiée d’harcelements administratifs à leur tour. Aucune de leurs lettres, décrivant la vie quotidienne de l’enfant, n’est parvenue à ses parents emprisonnés. Les services de protection de l’enfance ont visité l’appartement, en fouillant carrément tous les recoins. Ils ont fait subir à la grand-mère du petit Daniil une expertise psychologique qui doit servir de base pour une décision, attendue avant la fin du mois, sur sa capacité, ou pas, de s’occuper de l’enfant. En cas de réponse négative, le garçon sera enlevé à ses grand-parents et placé sous tutelle de l’Etat.

Sans être aussi sanguinaire que le régime stalinien, celui de Loukachenko ne se prive pas d’employer des méthodes de pression qui le rappellent beaucoup. Par exemple, certains membres de l’opposition sont forcés à présenter publiquement une autocritique. Dernièrement, c’était le cas de Yaroslav Romantchouk, ancien candidat de l’opposition à la présidentielle. Mais aussi d’Andreï Djmitriéou, chef de campagne d’un autre candidat, Ouadimir Niaklaïev. Ou encore d’un ancien officier de la police, Alexandre Klaskouski. Son père explique : « Il a trois enfants. Quand on vous dit que vous ne reverrez vos enfants que dans 15 ans, c’est un argument très convaincant ».

Jouer les Européens contre les Russes

A l’extérieur du pays, Alexandre Loukachenko peut se permettre beaucoup moins d’excès qu’à l’intérieur. Toutefois, il semble estimer que la position géographique de la Biélorussie, coincée entre l’Union européenne et la Russie, lui permet de jouer l’une contre l’autre et d’en tirer son épingle du jeu, en restant relativement indépendant.

Jusqu’à 2008, Loukachenko se rapprochait de la Russie, au point de lancer des projets de l’unification des deux pays, ce qui suscitait l’inquiétude de l’UE, et en particulier de la Pologne et des Pays baltes voisins. C’est entre autre pour contrer ces projets que l’Union a décidé de tendre une carotte – ou plutôt de retirer un baton – à Loukachenko, en suspendant les sanctions européennes introduites en 2006. Minsk a saisi l’occasion pour se distancer de Moscou, par ailleurs déjà fortement irritée par le comportement irresponsable et imprévisible de son protégé biélorusse. L’opposition contre Loukachenko a bénéficié d’une période de trois ans d’un relatif relâchement des pressions du pouvoir, ce qui lui a permis de s’organiser un peu mieux et de nouer plus de contacts avec ses sympathisants à l’étranger.

Changement de cap

A présent, nous sommes témoins d’un nouveau changement de cap périodique du régime. Il a visiblement décidé de ne plus permettre à l’opposition de s’organiser. La conséquence directe en est une détérioration des relations avec l’UE. Mais Loukachenko sait que le retrait des Européens risque d’attirer rapidement les Russes. Il a raison. En dépêchant immédiatement son Premier ministre à Moscou, il a obtenu de Vladimir Poutine deux engagements d’une grande valeur. Celui-ci a promis de subventionner à hauteur de plus de 4 milliards de dollars les livraisons de pétrole russe à la Biélorussie. Les deux pays ont également annoncé qu’ils finaliseraient au premier trimestre un accord pour la construction d’une centrale nucléaire biélorusse. Valeur du projet : 6 milliards de dollars. Gestes impensables il y a encore quelques mois, quand la télévision publique russe qualifiait Alexandre Loukachenko de « psychopate » et l’accusait ouvertement d’être responsable de la disparition de plusieurs opposants.

Gestes d’autant plus appréciables que le déficit de la Biélorussie en commerce extérieur s’élève à environ 7-8 milliards de dollars. Malgré les promesses du président lui-même qu’aucun nouveau crédit ne serait contracté à l’étranger, la Biélorussie vient de demander un nouveau emprunt de 800 millions de dollars à un consortium de banques allemandes, écossaises et russes. Le taux d’intérêt sera très élevé : 8,95%. Ainsi, au bout de sept ans, Minsk devra rembourser presque un milliard et demi de dollars, quasiment le double de la somme empruntée. Mais, contrairement aux crédits accordés par le Fonds monétaire international, bénéficiant des taux d’intérêt beaucoup plus cléments, les emprunts de ce genre auprès de banques privées présentent un avantage substantiel : ils ne sont liés à aucune obligation de réformes économiques… Alexandre Loukachenko peut donc dormir tranquille dans son statu quo. Jusqu’à ce que l’UE et la Russie n’en aient vraiment assez de son irresponsabilité et ne décident au même moment qu’il est dans leur intérêt commun de l’évincer.

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