Dans le palais des sports de Minsk, la capitale biélorusse, des centaines d'enfants agitent de petits drapeaux vert et rouge, les couleurs du drapeau national, reprises par le président Alexandre Loukachenko dans toute sa communication. Aujourd'hui, c'est jour de fête. Igor Bouzovski, le premier secrétaire du Comité central de l'Union de la jeunesse républicaine biélorusse (BRSM) est venu inaugurer un tournoi de hockey qui réunit les équipes des écoles de tout le pays. « Notre organisation a pour but de développer le sport et de favoriser l'accès des plus jeunes à la culture », souligne Igor Bouzovski, qui revendique 500 000 adhérents, de 16 à 30 ans. « Nous n'avons aucun objectif politique. Mais l'État nous finance, il est donc normal que j'invite nos membres à aller voter pour le président ». Comme au temps de l'URSS et à l'image des organisations de jeunes de l'époque, l'État biélorusse encadre et forme ses futurs citoyens. Alexandre Loukachenko, le maître tout-puissant de ce petit pays de dix millions d’habitants, enclavé entre les Républiques baltes, la Pologne et la Russie, sollicite un quatrième mandat : il règne sans partage sur la Biélorussie depuis 1994.
Le souffle révolutionnaire de 2006 est retombé
A la faculté aussi, les étudiants sont fortement encouragés par leurs professeurs à devenir membre du BRSM pour pouvoir obtenir leurs examens. « Les étudiants sont surtout préoccupés de toucher la bourse que leur accorde l'État à la fin de chaque mois », se désole Kasia Bochan, qui a animé des organisations étudiantes indépendantes durant des années. « Tout le monde attend que le peuple se soulève mais personne ne fait rien. Le régime tombera quand les gens n'auront plus rien à manger et la révolution se fera par les travailleurs et les ouvriers ». Quatre ans après les manifestations de mars 2006, où plusieurs centaines d'opposants avaient été arrêtés alors qu'ils dénonçaient la réélection contestée du président Alexandre Loukachenko, le souffle révolutionnaire semble être retombé au sein de la jeunesse biélorusse. « Beaucoup d'étudiants arrivent directement des campagnes. Pour eux, vivre à Minsk est déjà une chance, ils n'ont aucune idée des libertés dont jouissent les gens dans les pays étrangers », ajoute Kasia.
Irina, étudie à la faculté d'économie, en tourisme, elle a découvert Minsk au début de l'année. « J'ai une chambre à la cité universitaire, je ne paye que 17 000 roubles par mois [soit quatre euros] et les bourses ont été augmentées de 25% en octobre », souligne-t-elle. « Nous ne pouvons pas nous plaindre. Mais il est vrai aussi que les professeurs nous ont demandé de voter par anticipation ». Dans un délais de cinq jours avant le scrutin, tous ceux qui le veulent peuvent voter en avance, une manière discrète « d'inciter » les fonctionnaires à « choisir » leur candidat.
Cette année pourtant, la partie serait « plus ouverte » que d’habitude. Les neuf candidats de l'opposition ont pu louer des salles pour tenir leurs meetings, et leurs militants ne sont pas inquiétés par la police. Cette relative tolérance du régime s’explique par la position particulière de la Biélorussie, entrée ces derniers mois en conflit ouvert avec la Russie sur le prix du gaz, tandis que l’Union européenne lui fait les yeux doux. Début novembre, les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne et de Pologne, en visite à Minsk, ont proposé au pays un prêt de trois milliards d’euros. Seule condition : que les élections de dimanche soient « relativement » démocratiques. En clair, que les fraudes ne soient pas trop visibles.
Résignation
Dans le contexte économique actuelle, la Biélorussie peut difficilement se passer de l'argent européen. « L’inflation a été de 10% en 2010 et la dette extérieure est passée de 5 milliards de dollars en 2006 à 25 milliards en 2010. Le gouvernement a besoin de liquidités et il essaie de procéder à quelques privatisations », explique Iegor Martynovitch, journaliste économique à l’hebdomadaire d’opposition Nacha Niva. L’Etat contrôle toujours directement près de 80% de l’économie. « Plusieurs appels d’offres n’ont eu aucun succès : l’Etat fixait des conditions inacceptables pour les repreneurs », confirme Youri Vavokhine, consultant économique. En Biélorussie, il n’est pas question de scinder les « combinats » hérités de l’époque soviétique, qui réunissent usines, kolkhozes et services sociaux, comme des crèches ou des hôpitaux. Le régime voudrait maintenir un système de type soviétique, garant de la paix sociale, tout en essayant de faire rentrer de l’argent dans ses caisses, alors que la Biélorussie n’a pas de ressources naturelles, ni de spécialités industrielles facilement valorisables.
En attendant, les opposants tentent de mobiliser leurs partisans. Sous les bourrasques de neige, un millier de personnes ont bravé le froid pour assister au meeting d'Andreï Sannikov et de Vladimir Nekliaev, deux des neufs candidats de l'opposition. Se relayant à la tribune, les deux hommes ont bien du mal à décongeler la foule. « Nous appelons tout le pays à la grève générale le lendemain des élections pour protester contre les fraudes qui vont fausser le scrutin », lancent-ils à la cantonnade. Quelques cris, des drapeaux qui s'agitent, l'assemblée semble déjà s'être résignée à la défaite.
À Minsk, personne n’ose envisager qu’Alexandre Loukachenko puisse concéder un second tour à ses opposants. « Toute la question est de savoir si Loukachenko va proclamer sa réélection avec 70 ou 80% des suffrages », poursuit Kasia Kochan. L’opposition appelle pourtant à un grand rassemblement dimanche soir sur la place d’Octobre. Certains parlent même d’une grève générale dès lundi pour faire respecter le verdict des urnes. Il faudrait, d’ici là, que le « peuple » se réveille pour de bon.