La zone qui entoure la zone de Tchernobyl est-elle sous haute surveillance ?
Camille Magnard : Oui on y redoute que le feu, qui se trouve à une centaine de kilomètres au nord, côté russe, ne passe la frontière et se rapproche de la centrale. Pour l'heure les pompiers ukrainiens combattent les flammes sur plusieurs sites, dans un rayon de 60 kilomètres de la centrale. Il ne s'agit pour le moment que de feux de tourbières, sur au moins trois sites, mais qui ne s'étendent pas sur plus de 3 hectares. Les équipes du ministère des Situations d'urgence tentent d'éteindre ces incendies depuis lundi, mais la tâche est compliquée car c'est en fait la terre qui brûle. Dans cette région, au nord de Kiev, de très grandes surfaces de tourbières ont en effet été asséchées pendant l'époque soviétique et le feu se propage en profondeur. Depuis que la canicule s'est installée en Ukraine, il y a trois semaines, de nombeux feux de tourbière se sont déclarés autour de Kiev. Tous ont pu être circonscrits rapidement par les pompiers. Mais cette fois, on est à 60 kilomètres de Tchernobyl, dans une zone très boisée. La menace des incendies se rapproche donc, avec toujours ce risque, dénoncé par certaines associations ukrainiennes, que les feux des forêts contaminées par les radiations ne forment un nouveau nuage radioactif. Là encore, les autorités ukrainiennes se veulent rassurantes : les mesures de radioactivité dans l'air n'ont, nous dit-on, pas augmenté ces dernières semaines.
Mais tous les regards restent bien braqués vers le nord et vers cette frontière avec la région de Briansk en Russie, une région où les incendies continuent de gagner du terrain tout près de la frontière ukrainienne. Pas plus tard qu'hier, mercredi 11 août 2010, on a reçu des informations inquiétantes de l'Office russe de protection des forêts. Des informations qui confirment ce que l'on craignait depuis une dizaine de jours : 4000 hectares de forêt russe irradiée par la catastrophe de Tchernobyl en 1986, sont déjà partis en fumée. Une fumée dont on craint qu'elle ne remette en circulation des particules radioactives stockées dans le bois des arbres pendant 24 ans. Et le risque est réel : les forêts qui brûlent aujourd'hui dans le Sud-Ouest de la Russie se trouvent dans les zones les plus polluées par les radiations après l'explosion du reacteur n°4 de Tchernobyl. Dans les jours qui avaient suivi la catastrophe, le coeur en fusion du réacteur avait propulsé dans l'air un panache de radionucléides, un nuage radioactif qui avait été poussé au nord par le vent, vers la Russie et la Biélorussie, où les radiations étaient retombées sous forme de pluies. Ce sont ces régions, très boisées, qui brûlent aujourd'hui...
Mais la centrale de Tchernobyl elle-même est-elle directement menacée par les flammes ?
C.M. : C'est toute la question actuellement : la centrale elle-même ne semble pas menacée... Mais on craint surtout que des incendies ne se déclarent dans la zone dite « interdite », la zone d'exclusion des 30 kilomètres autour de la centrale qui forme en quelque sorte l'épicentre de la pollution radiactive. Et depuis une semaine une polémique a éclaté sur le sujet: un député de l'opposition déclarait récemment qu'il y avait déjà des incendies tout près de la centrale, ce que les autorités se sont empressées de nier. Mais ce mardi, 10 août, le gouvernement a été obligé de se contredire : il a reconnu qu'il y avait bien eu des départs de feux dans la zone. De quoi inquiéter un peu plus la population : ces revirements du discours officiel rappellent aux Ukrainiens le silence et les mensonges des autorités soviétiques, dans les jours qui avaient suivi la catastrophe, il y a 24 ans.
Comment le pouvoir ukrainien tente-t-il de rassurer la population ?
C.M. : Eh bien, d'une manière assez maladroite, vous l'aurez compris. Sur tous ces sujets les autorités tentent de minimiser les risques et de montrer qu'elles ont la situation sous contrôle. Depuis une semaine le président Yanoukovitch a annulé ses 43 jours de vacances en Crimée pour mener la lutte contre les incendies... Et au ministère des Situations d'urgence, on se contente de répéter qu'on a la situation bien en main, autrement dit, « circulez, y'a rien à voir ». Pour l'heure il est vrai que l'Ukraine est plutôt épargnée par les incendies par rapport à la Russie. Mais en ce qui concerne la menace d'incendies sur les forêts irradiées et de nouvelles pollutions radioactives autour de Tchernobyl, la menace est invisible, diffuse et difficile à évaluer. Et le moins que l'on puisse dire c'est que les autorités ukrainiennes restent très silencieuses sur le sujet. Chacun scrute la situation en Russie et s'en remet à la météo espérant une accalmie de la canicule. Mais le vent du Nord annoncé ces prochains jours dans la région ne fait rien pour rassurer la population. Pas plus que cette odeur de fumée tenace mardi matin dans le centre de Kiev : comme un rappel aux Ukrainiens que les incendies russes ne sont pas si loin...