En Italie, la Ndrangheta fragilisée reste une puissante organisation mafieuse

Coup de filet dans les rangs de la Ndrangheta, la mafia calabraise dans le sud de l'Italie, le mardi 13 juillet. Plus de 300 personnes ont été arrêtées par la police et notamment Domenico Oppedisano, considéré comme le numéro 1 de l'organisation. L'opération a mobilisé 3 000 policiers. Ils ont saisi de l'argent, des armes, de la drogue et des biens immobiliers d'une valeur de plusieurs dizaines de millions d'euros. La Ndranghetta est l'une des plus vieilles organisations criminelles en Italie.

La Ndrangheta fait partie des 5 grands groupes mafieux du pays avec la Mafia, la Cosa Nostra, la Camorra et la Sacra corona unita. Spécialiste de l'enlèvement contre rançon dans les années 70-80, elle trempe aujourd'hui dans tous les trafics : drogue, logistique, armes ou immobilier.

Mais malgré cette opération lourde, ce n'est pas la fin de Ndrangheta, le ministère de l'Intérieur estime ses effectifs à 4 ou 5 000 personnes et surtout son chiffre d'affaires à 44 milliards d'euros ! L'organisation est implantée dans le sud de l'Italie en Calabre et elle y contrôle tout selon Fabrizio Calvi, journaliste d'investigation, spécialiste de la criminalité organisée.

« Si vous êtes dans un petit village de Calabre, vous devez composer avec la famille locale. La nouveauté, c’est cette puissance industrielle qu’elle a acquise, depuis un certain temps. D’organisation féodale, archaïque, elle est devenue une organisation industrielle performante. On dit qu’elle a pratiquement le monopole du marché de cocaïne, et c’est elle qui contrôle les routes qui passent par l’Afrique. De part sa situation géographique, elle est pratiquement en face de l’ex-Yougoslavie, il y a un débouché sur les Balkans avec tout ce que cela veut dire comme trafic de drogue, d’armes et de main-d’œuvre ».

Changement de statut et influence étendue à l’Europe

Elle accroit fortement sa présence en Lombardie, à Milan, et se sert des communautés italiennes implantées à l'étranger pour se développer, notamment en Allemagne. L'organisation devient l'un des groupes criminels les plus puissants au monde. Léo Sisti a suivi son évolution pour le quotidien italien Il Fatto Quotidiano: « C'est une organisation mondiale, c'est la plus puissante organisation criminelle du monde, avec les Colombiens et les Mexicains. Il y a des liens très forts entre la Ndranghetta et une organisation criminelle mexicaine très importante. Il y a également des liens avec l'Europe de l'Ouest et surtout en Amérique du Sud. Ils sont très très puissants. Il s'agit de familles, qui sont très liées entre elles et souvent il y a des mariages entre des personnages de la même famille ».

Et une des particularités de cette organisation, par rapport à la mafia sicilienne par exemple, c'est qu'on y trouve pas de repentis. D'ailleurs l'opération de mardi s'est appuyée uniquement sur des écoutes téléphoniques et certains, comme Fabrizio Calvi, estiment que la fameuse « loi baillon » proposée par le gouvernement Berlusconi en mai dernier va limiter ces enquêtes: « Dans cette loi, par exemple, les écoutes sont pratiquement interdites, ou cela devient tellement difficile que les juges ne vont plus pouvoir procéder à des écoutes pour surveiller ces groupes criminels. Si jamais cette loi passe, une telle enquête ne sera plus possible. Surtout, nous, les journalistes, nous ne pourront plus pu parler de ces enquêtes parce qu'il y a aussi une interdiction qui est faite à la presse de parler des enquêtes de criminalité organisée en Italie ».

Contradiction entre enquêtes, nouvelles écoutes et remous dans la classe politique italienne

Et le coup de filet de mardi donne un argument de poids aux détracteurs de la loi. L'expert de l'ONU pour le droit à l'expression a d'ailleurs demandé au gouvernement italien d'abandonner ce projet de loi. Il estime qu'il est une menace pour la liberté d'expression. Pour Sandro Gozi, député de l'opposition proche de Romano Prodi, il pourrait avoir des conséquences en Europe: « C'est un projet de loi qui devrait nous inquiéter, au moins, au niveau européen. Nous sommes en train de discuter en Europe sur les moyens de renforcer les échanges d'informations et les pouvoirs d'enquête policière pour lutter contre un crime transnational qui est, notamment, un crime d'origine mafieuse. Donc, il est clair qu'affaiblir les pouvoirs d'enquête en Italie pourrait avoir des conséquences négatives, non seulement en Italie, mais aussi au niveau européen ».

Dernier paradoxe de cette histoire. Le magistrat, félicité par le gouvernement, qui a enquêté sur la Ndrangheta n'est autre que le vice-procureur de Milan ; celui-là même qui a plusieurs fois engagé des enquêtes sur Silvio Berlusconi.

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