Luc Besson sur «Valérian»: «Le futur, on peut en faire ce qu’on veut»

Le film le plus cher de l’histoire du cinéma français (plus de 180 millions d’euros de budget) sort ce mercredi sur les écrans français : il s’agit de Valérian, le nouveau long métrage de Luc Besson. Après le Cinquième Elément, le réalisateur de 58 ans livre un nouveau film de science-fiction, adapté d’une série de bandes dessinées. L’histoire d’un couple d’agents spatiaux chargés de faire régner l’ordre dans la galaxie au XXVIIIe siècle.

RFI : Luc Besson, Valérian, vous en rêviez depuis des années. Bien avant Le Cinquième élément (1997) ?

Luc Besson : Non pas du tout. Valérian, ça fait partie de mon enfance. Je le découvre à 10 ans. Il y a 29 albums que j’ai suivis pendant toute sa carrière. Mais, en fait, je n’ai pas du tout rêvé de ça. À l’époque du Cinquième élément », Mézières, le dessinateur, travaille sur le Cinquième élément et c’est lui qui me dit : Je ne comprends pas pourquoi tu fais cette espèce de stupide Cinquième élément. Pourquoi tu ne fais pas Valérian ? Et je reprends les albums, je reviens et je lui dis : Je ne le fais pas, parce que ce n’est pas possible de le faire.

Depuis ce jour-là, il y a une petite graine dans ma tête. Chaque année, j’ai repris les albums pour vérifier. Et il y a à peu près huit ou neuf ans, je me suis dit : bon… Eh bien essayons. Je suis parti très modestement [rires]. Sincèrement, je ne savais même pas si c’était possible de le faire. Et je ne sais pas comment on a fait…

Qu’est-ce qui vous semblait impossible ?

Déjà, c’est techniquement impossible. La technologie et les effets spéciaux n’étaient pas assez avancés. Il a vraiment fallu attendre Avatar et James Cameron qui a créé les outils pour nous permettre de faire des Aliens et des vaisseaux spatiaux, des choses comme ça. Il a vraiment fallu attendra ça, parce qu’il y a trois personnages humains dans le film et le reste c’est 500 Aliens. Donc c’est vraiment très compliqué à faire.

On a tout utilisé, tous les systèmes possibles et imaginables. Des fois, même un bout de ficelle avec une caméra à la main et puis de l’autre côté certains plans... Il y a, par exemple, deux ou trois plans dans le film qui sont des plans d’à peu près trente secondes qui ont mis dix-huit mois à se faire en effets spéciaux.

D’où le budget incroyable pour ce film le plus cher de l’histoire du cinéma français.

Ce qui m’intéresse c’est que le prix du billet est exactement le même. C’est-à-dire que si vous allez voir un petit film en noir et blanc qui se passe dans une cuisine vous paierez le même prix [rires]. Ma responsabilité n’est pas celle-là. Ma responsabilité est de pouvoir suivre l’histoire, que les personnages soient respectés, que l’émotion des personnages à travers les deux heures de film ait une certaine continuité, que le jeu soit toujours bon, que les gags soient bons, que ce soit beau… C’est ça ma responsabilité.

Si je dois à un moment donné avoir peur, c’est que j’ai peur de rater ça. C’est ça qui m’importe. Aujourd’hui je suis fou amoureux de mon film. J’ai vraiment mis tout ce que je savais faire. Voilà, après, j’espère que cela plaira aux gens. Mais, quelque part, ce n’est presque pas mon problème. En tout cas, ce film-là je l’aime. Je n’ai pas de poids supplémentaire sur ça.

Pierre Christin et Jean-Claude Mézières me disaient que c’était une BD aussi très européenne. Très français dans l’esprit, l’humour, les personnages, les thématiques, les messages… Messages de paix, de symbiose avec l’environnement… Votre film, il a respecté cet esprit-là par rapport à d’autres films de science-fiction anglo-saxons. Ou est-ce que c’était le respect de l’œuvre, de la BD originale ?

C’est le respect de la bande originelle. Mais si je n’étais pas d’accord avec ce point de vue, je ne l’aurais pas fait. Ce qui m’a toujours étonné, récemment, dans les films de science-fiction - surtout américains - tout est très noir ! Il pleut tout le temps, c’est la nuit… Le héros se pose plein de questions existentielles. J’ai un peu de mal avec ça. Je trouve que le passé est écrit, le présent on le subit. Mais le futur on peut en faire ce qu’on veut.

Donc, pourquoi sur cette page blanche, on n’irait mettre que du noir ? Moi, je rêve d’un futur où l’on est tous solidaires, où les Aliens sont gentils, où tout le monde se serre la main, où c’est drôle, où il y a plein de couleurs… Voilà. Je rêve d’un futur comme celui-là. Pourquoi aller imaginer que le futur soit aussi sombre ? Ça n’a pas de sens ! Ou en tout cas ça montre nos propres peurs ! Je n’ai pas peur du futur. Je pense que le futur va être bright [lumineux, ndlr] ! Et coloré !

Il y a une séquence impressionnante, dans le big market, avec des passages entre le réel et le virtuel… Et ça, visiblement, ce n’est pas forcément dans la BD originale. C’est votre apport…

Ça reste dans l’esprit de la BD. Mais, c’est vrai, ce n’était pas dans les bandes originales. C’est une idée que j’ai eue il y a une dizaine d’années déjà… C’est une scène qui fait 18 minutes. Il y a 600 plans à l’intérieur. C’est dans deux mondes parallèles qui coexistent. L’un est un désert et l’autre est un supermarché d’un million de boutiques sur 500 niveaux. Et l’acteur, le personnage principal, se coince le bras dans l’un des deux [rires].

Donc c’est un casse-tête chinois à faire. Le tournage juste de cette scène a duré six semaines. Et les effets spéciaux pour cette scène ont mis deux ans et demi pour faire cette scène de 18 minutes. C’est vraiment un travail énorme. Quand j’ai réuni pour la première fois l’équipe pour expliquer la scène, cette réunion a duré une heure. À la fin, j’ai vu que personne n’avait compris ce que je leur avais raconté pendant une heure… [rires]

Donc il a fallu que je fasse autrement. J’ai pris les élèves de l’école de la Cité du cinéma et on a tourné pendant trois semaines avec une petite caméra. On a tourné la scène en entier, tous les plans, les 600 plans. On a monté et j’ai montré une pré-scène. C’était évidemment bien moins bien fait. Mais grâce à ça, j’ai finalement eu des techniciens qui m’ont dit : Ah ! D’accord ! On comprend ! [rires] Aujourd’hui, le plus dur, quand on est spectateur, quand on voit cette scène, on trouve ça tout à fait normal ! On ne se pose pas la question. Mais c’était vraiment, vraiment compliqué à faire.

Avant même le tournage, tout est alors très précis ?

Il n’y a pas le choix. Tout est storyboardé. Généralement avec trois dessins : c’est-à-dire la première image, la dernière et celle du milieu. Chaque plan est minuté, non pas à la seconde, mais à l’image. Il y a 24 images par seconde. Donc on ne dit pas : vous avez un plan de 3 secondes. On vous dit : vous avez un plan de 72 images. C’est un travail hyper minutieux et c’est impossible de faire ce film autrement que comme ça !

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