C'est le ministre des Affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier qui a donné le ton, vendredi. Il a demandé aux dirigeants turcs de faire connaître dans quelle direction ils veulent que la Turquie s'engage pour en tirer les conséquences en ce qui concerne les relations avec l'Union européenne. Avec cette petite phrase, le ministre allemand sous-entend beaucoup de choses, notamment un scénario jusque-là évoqué en coulisse, mais jamais en public : une fin possible des négociations d'adhésion entre Ankara et Bruxelles. Le sujet n'est plus tabou, à Berlin et c'est une grande nouveauté de la part du chef de la diplomatie allemande.
Le président de la République a lui aussi commenté les derniers événements et la purge entreprise par Ankara contre ses opposants. Pour Joackim Gauck, les Européens ne peuvent pas rester sans réponse : il regrette que la Turquie instrumentalise la justice et envisage le retour de la peine de mort. Le retour de la peine capitale est une ligne rouge pour les Européens. Le président turc Recep Tayyip Erdogan souhaite pourtant que le Parlement se penche sur la question dans les prochains jours.
Des paroles et des actes ?
Des actes, c’est ce que demande Can Dündar, l'ex-rédacteur en chef du journal d'opposition Cumhuriyet, il est une des cibles du président turc et vit en Allemagne depuis cet été. Il a vu cette semaine 13 de ses confrères de Cumhuriyet arrêtés. Can Dündar a été reçu hier par le président allemand et il demande maintenant des actes de la part des Européens.
A Berlin, l'opposition de gauche propose des sanctions contre la Turquie sur le modèle des sanctions contre la Russie. Mais concrètement, cela semble pour l'instant très peu probable. Ce que l'on entend en Allemagne, de la part des diplomates, c'est qu'Ankara est un partenaire certes difficile, mais incontournable sur de nombreux dossiers : la Turquie est membre de l'OTAN ; c'est un partenaire central pour la lutte contre l’État islamique ; c'est un partenaire économique de poids notamment pour les Allemands ; c'est enfin un partenaire devenu central dans la question migratoire. Les Européens ont signé en mars un accord de refoulement des réfugiés avec Ankara, cet accord a été voulu et négocié personnellement par Angela Merkel et même si le président Erdogan menace régulièrement de dénoncer cet accord, il reste central pour la chancelière allemande. Angela Merkel ne veut pas revivre l'expérience de l'an dernier, avec des milliers de réfugiés qui frappent à la porte de son pays. Ce serait pour elle un coup fatal à un an des élections législatives. La marge de manœuvre du gouvernement allemand semble donc limitée.
Risques de tensions en raison d'une forte communauté turque
Depuis la tentative de coup d'État de juillet dernier en Turquie, les autorités allemandes évoquent un risque que la communauté turque aussi s'embrase. Le pays compte 3 millions de ressortissants turcs qui sont très polarisés. Il y a d'un côté les Kurdes, les Turcs, les supporters de Recep Tayyip Erdogan, ses opposants... Il y a aussi les laïcs, les religieux, les alévis, les sunnites... Chaque événement en Turquie est suivi de près dans le pays. Depuis vendredi par exemple, on assiste à de nombreuses manifestations contre le gouvernement turc dans tout le pays (de Berlin, à Cologne).
Une chose est sûre : les responsables politiques turcs ne cherchent pas apaiser la situation. Le ministre de la Justice turc a déclaré vendredi ne pas avoir de leçon à recevoir de la part de Berlin et de l'Union européenne. Il a aussi directement attaqué l'Allemagne où selon lui les Turcs n'ont aucun droit. Pour les opposants au président Erdogan, ces propos sont tout simplement une manière d'exporter le conflit en Allemagne.