RFI : Avec la chute programmée de leur bastion de Syrte en Libye est-ce que les jihadistes tunisiens ne risquent pas de revenir massivement en Tunisie ?
Mustapha Ben Jaafar : Massivement, je ne sais pas. Mais en tout cas, le risque est réel, il est souligné par plusieurs autorités, y compris les autorités françaises qui semblent être informées. Evidemment, la Tunisie et l’Egypte sont les principales visées.
Donc il faut les identifier et les arrêter à leur retour ?
Oui, à mon avis. Il faut les arrêter parce qu’ils useront de tous les moyens et de tous les procédés pour trouver refuge en Tunisie. Et aujourd’hui, effectivement, ils ont moins de chances qu’auparavant parce qu’il y a beaucoup plus de coordination entre les autorités sécuritaires. D’abord, il y a une très, très bonne coopération avec l’Algérie et même du côté libyen les autorités tunisiennes ont établi un certain nombre de ponts et de passerelles pour discuter avec les responsables locaux, les tribus qui sont présentes de l’autre côté de la frontière et je pense que de ce côté-là on est relativement prémunis. Evidemment, il ne faudrait pas tomber dans l’excès qui consiste à mettre tout le monde dans le même sac parce qu’il y a des relations au niveau de la frontière, beaucoup d’échanges, beaucoup de commerces. Les populations se connaissent, parfois appartiennent aux mêmes familles. Donc il faut être très, très ferme, très vigilant, mais ne pas susciter le courroux et le mécontentement de la population qui n’a rien à voir avec le terrorisme.
Population qui ne doit pas être très satisfaite de cette frontière hyper-sécurisée, avec tranchées et barbelés sur les quelque 500 kilomètres de frontière commune entre la Tunisie et la Libye.
Là, vous touchez un point qui est très, très important dans la mesure où le trafic de toutes sortes de marchandises est la source principale de vie pour un certain nombre de citoyens tunisiens. Cela est vrai, c’est un problème qu’il faut résoudre avec beaucoup de prudence et une politique de développement de ces régions frontalières. Mais aujourd’hui, il est vrai que dès qu’on touche à ce trafic-là, les réactions sont parfois violentes. Donc, il faut tout faire pour que la relation entre trafic de marchandises et justement terrorisme ne se fasse pas.
Selon le ministre tunisien de la Défense Farhat Horchani, la plupart des jihadistes tunisiens sont identifiés, sont fichés. Mais est-ce que c’est si sûr ?
Je ne peux pas le contredire ! Il doit connaître son dossier et d’après ce que je sais c’est un homme sérieux qui n’a pas l’habitude de dire n’importe quoi.
Mais est-ce que vous ne craignez pas que beaucoup de jihadistes ne parviennent à tromper les services de sécurité et à rentrer incognito en Tunisie ?
C’est une possibilité ! On a reçu quand même des coups très durs qui ont apporté de très, très lourdes conséquences sur le tourisme et le climat sécuritaire du pays. Mais je pense qu’au cours de ces dernières années, les choses se sont nettement améliorées du côté de l’organisation des forces de sécurité, de l’armée, du renseignement et aussi au niveau de la coopération avec nos voisins, l’Algérie en premier, parce qu’on a en face un Etat organisé. Avec la Libye, c’est plus difficile, mais on a pu quand même établir des relations efficaces avec les voisins frontaliers.
Mais après la révolution de janvier 2011 et votre arrivée au pouvoir est-ce que, malgré tout, les services de sécurité de la Tunisie n’ont pas été désorganisés ?
Oui, ils l’ont été pendant un temps. Mais depuis les choses se sont nettement améliorées puisqu’aujourd’hui les terroristes sont cantonnés à la région du Chaambi et dans certains secteurs bien identifiés.
La région montagneuse du Chaambi ?
Tout à fait.
Est-ce que la présence à Tunis d’un parti islamiste radical comme Hizb ut-Tahrir ne pose pas problème ?
Il pose un problème en termes d’organisation politique puisqu’il n’accepte pas les fondamentaux de cette Constitution. Mais je n’ai pas du tout d’information qui corroborerait éventuellement des relations particulières avec des extrémistes terroristes ou des jihadistes. Maintenant, il faut être très, très vigilant concernant les différents mouvements, renforcer le renseignement et surtout donner à la Tunisie, je l’espère vivement de la part des amis de la Tunisie, les équipements sophistiqués nécessaires qui lui permettent de mieux contrôler ses frontières.
Ce parti islamiste radical a été légalisé en 2012, à l’époque où vous présidiez l’Assemblée nationale. Est-ce que vous le regrettez ?
Ce qui est fait est fait. Personnellement, je ne l’aurais pas fait. Mais de toutes les manières, nous sommes passés d’une situation de dictature à une situation de liberté, parfois excessive, avec pas mal de dérapages, et à l’époque on n’avait pas beaucoup d’arguments pour refuser un parti qui se déclare respectueux de la règle du jeu. Maintenant, au moindre dérapage, il faut sévir.
Selon le ministre tunisien de la Défense, Farhat Horchani, dans la région il n’y a aucune stratégie, il n’y a pas de coopération entre les Etats.
Il n’y a pas de stratégie. Je crois que d’une manière générale, évidemment nous ne sommes pas du tout contents du niveau de développement des relations entre les pays du Maghreb. Les relations ne sont pas au beau fixe entre l’Algérie et le Maroc et la question du Sahara continue, malheureusement, à empoisonner la construction du Maghreb.