Cynthia Ohayon: l'assaut au Burkina Faso n'est «pas très étonnant»

La prise d’otages qui a démarré ce vendredi soir, 15 janvier, est-elle une surprise ? Y avait-il des signes avant-coureurs de cette attaque ? Laurent Correau a posé ces questions à Cynthia Ohayon, analyste sur l’Afrique de l’Ouest au sein de l’International Crisis Group et spécialiste du Burkina Faso.

RFI: Est-ce qu’il y avait des signes avant-coureurs à cette attaque sur Ouagadougou  ?

Cynthia Ohayon: Effectivement. C’est la première fois qu’il y a une attaque à Ouagadougou et c’est une attaque sans précédent dans l’histoire du pays mais il y avait déjà eu plusieurs attaques cette année.

Aux frontières, il y a eu deux attaques dans le Nord dont une où un ressortissant roumain a été enlevé. Il y a eu également une attaque à l’Ouest, au mois d’octobre dernier, et il y a encore beaucoup de choses qui ne sont pas très claires. L’attaque qui a eu lieu dans le Nord où le citoyen roumain a été enlevé, était revendiquée par al-Mourabitoune, un groupe islamiste. Une attaque du mois d’octobre où il y a eu quatre ou cinq morts, il me semble, n’a pas été revendiquée. Et donc, il y a parfois certains qui supposent que c’est plutôt lié à des querelles locales ; d’autres qui supposent que c’est plutôt lié à des groupes armés ou bien à des groupes terroristes. Cela peut être des affaires de banditismes aussi.

En tout cas, ce qui sûr, c’est que la situation sécuritaire aux frontières du Burkina s’est détériorée. Le Burkina partage une longue frontière avec le Mali et avec le Niger qui sont des pays assez fragiles, notamment le Mali qui a un certain nombre de groupes terroristes et de groupes armés qui sont présents et qui ont déjà commis des attaques.

Est-ce qu’on savait que le Burkina pouvait être menacé par certains groupes ?

Oui, même s’il n’y a jamais eu de menaces officielles et formelles de la part de certains groupes étant donné l’environnement régional et la position très stratégique du Burkina dans la région du Sahel. Il y avait, en effet, tous ces groupes au Nord du Mali qui ont commencé, ces derniers temps, à se répandre et à descendre vers le Sud et vers le Nord. Il y a eu aussi des attaques, il y a quelques mois, au Sud du Mali, ce qui est un phénomène assez nouveau. C’est un peu la continuité géographique. Par ailleurs, et étant donné que les frontières sont poreuses, ce n’est pas étonnant que ça se répande et que ça finisse par contaminer le Burkina.

Pour vous qui êtes une analyste spécialiste du Burkina, est-ce que cette attaque est une surprise ?

Pour moi, non. Je discutais justement avec quelqu’un, il y a deux ou trois jours, qui me parlait de ça et qui me citait nommément le café-restaurant Capuccino qui a été attaqué. Cette personne me disait que c’était juste une question de temps, finalement. Aussi, je crois malheureusement qu’il ne faut pas voir cela comme une surprise et qu’étant donné l’environnement régional, il n’y a malheureusement pas de raisons pour que le Burkina continue à être épargné indéfiniment.

Comment peut-on expliquer que le Burkina Faso puisse être resté à l’écart de la menace terroriste si longtemps, finalement, par rapport à ses voisins ?

Cela a trait au contexte politique. En fait, le régime du président Blaise Compaoré - qui était là pendant 27 ans et qui est tombé en octobre 2014 - était assez proche de certains groupes, notamment rebelles, au Mali. Parfois, en effet, il y avait certains membres de ces groupes qui avaient des maisons à Ouagadougou ou encore que Compaoré hébergeait dans des hôtels de Ouagadougou. On peut donc supposer qu’il y avait une sorte d’accord tacite pour que le Burkina ne soit pas attaqué. Evidemment, maintenant que le régime Compaoré est tombé, c’est sans doute finalement la conséquence un peu logique et ce n’est donc pas très étonnant que ces groupes aient décidé d’attaquer le Burkina.

Est-ce qu’on peut dire que cette attaque vient porter un coup important à une dynamique qui était en train de s’installer au Burkina Faso ?

Effectivement, il faut replacer cette attaque un peu dans le contexte et dire que le moment où elle a eu lieu n’est pas anodin. Le gouvernement [de Paul Kaba Thieba] se met à peine en place - il a été nommé cette semaine - et le nouveau président [Roch Marc Christian Kabore] a pris ses fonctions, il y a deux semaines. Nous sommes, il est vrai, un petit peu dans un élan d’optimisme mais là, cela va sans doute créer un climat de peur et de méfiance dans le pays, climat dont les Burkinabè n’ont vraiment pas besoin. Et puis, surtout, cela va détourner l’attention des problèmes quotidiens que les Burkinabè attendent de voir réglés vers des questions sécuritaires urgentes.
 

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