Il est plus facile à la Russie de couper le gaz à l'Ukraine qu'à la Turquie. La rupture des approvisionnements russes à l'Ukraine est officiellement motivée par Gazprom par des raisons commerciales : l'arrêt des prépaiements par la société nationale ukrainienne. Mais le géant gazier russe aurait pu attendre que de nouvelles discussions s'engagent sous l'égide de l'Union européenne sur le prix du gaz pour les livraisons du premier trimestre 2016.
L'arrêt brutal de l'approvisionnement à l'Ukraine et la menace brandie par Gazprom d'une pénurie de gaz en Europe cet hiver, même si elle est peu probable vu l'importance des stocks européens, laissent penser qu'il s'agit avant tout d'une mesure de rétorsion russe, après la panne d'électricité géante imposée par Kiev à la Crimée, annexée par Moscou.
La Turquie, un débouché gazier stratégique pour la Russie
Rien de tel vis-à-vis de la Turquie, alors qu'Ankara vient d'abattre un avion russe. Mais la Turquie est un débouché gazier stratégique pour la Russie, autrement plus important et prometteur désormais que l'Ukraine. La Turquie a importé l'an dernier 28 milliards de m3 de gaz russe, deux fois plus que l'Ukraine, qui ne représente plus que 10 à 15 % du gaz russe partant vers l'Europe.
La consommation turque de gaz explose, elle est déjà de 50 milliards de m3 de gaz, dont la moitié fournie par la Russie, pour qui la Turquie est « la » solution à la baisse tendancielle de la demande de gaz en Europe. À la fin de l'année dernière, Poutine avait même lancé en grande pompe le projet Turkish Stream, qui avait le double avantage pour la Russie d'alimenter la Turquie et de contourner l'Ukraine.
Depuis que l'armée turque a abattu un avion russe, ce gazoduc a certainement lui aussi du plomb dans l'aile. Le projet avait déjà été réduit, avec deux tuyaux de gaz au lieu de quatre. Mais il n'est pas question pour la Russie d'interrompre les livraisons de gaz russe à la Turquie, elles pèsent 10 milliards de dollars, d'autant que les Turcs, s'ils exigent des rabais très importants, paient leur gaz rubis sur l'ongle, à la différence des Ukrainiens, empêtrés dans leurs difficultés financières.