RFI : L'Arabie saoudite est donc depuis jeudi matin 26 mars à la tête d'une opération militaire baptisée « Tempête de fermeté ». A ses côtés, plusieurs pays du Golfe, ainsi que l'Egypte et la Jordanie, soit en tout une dizaine de pays. Qu’est-ce qui a poussé Riyad à s’engager aujourd’hui ?
Laurent Bonnefoy : Les Saoudiens eux seuls le diront concrètement, mais il y a eu mercredi 25 mars une situation de confusion à Aden avec la fuite, qui a été annoncée, du président de la transition, Abd Rabbo Mansour Hadi qui aurait, dit-on, gagné Oman. Dans le même temps, le ministère des Affaires étrangères avait demandé aux voisins, donc à l’Arabie saoudite, d’intervenir en soutien à ce qu’ils appellent le gouvernement légitime face à l’avancée de la rébellion houthie, qui approchait d’Aden. Cette situation de « débandade » du régime, qu’eux qualifient de légitime, a poussé sans doute les Saoudiens à intervenir. Au-delà de ça, on peut essayer de réfléchir à différentes logiques. Il y a une logique directe, géopolitique, qui est que le lien qui existe entre la rébellion houthie et l’Iran, qui a pu amener les Saoudiens à taper du poing sur la table et à souhaiter remettre de l’ordre au Yémen. Non seulement parce que l’avancée des Houthis risquait de mettre en péril une route maritime très importante avec le détroit de Bab el-Mandeb (une route qui permet l’accès à la mer Rouge, donc les flux de navires pétroliers et gaziers risquaient d’être affectés par la chute et le contrôle de cette route maritime par la rébellion houthiste), mais aussi, au-delà de ça, on peut penser que les négociations axées sur le nucléaire iranien ont amené finalement les Saoudiens à intervenir et à ramener l’Iran dans le jeu de sa rivalité par le biais du Yémen. D’une certaine manière, ça permettait de torpiller cet accord qui se dessine entre l’Iran et les Etats-Unis.
Est-ce que ça veut dire que le Yémen reflète une situation à laquelle le monde arabe est de plus en plus confronté, c’est-à-dire à une vraie guerre entre sunnites et chiites ?
Le Yémen s’inscrit de plain-pied, de plus en plus, dans cette logique-là. Bien évidemment les conflits ont un ancrage local fort, ils ne peuvent se résumer à cette logique confessionnelle entre les sunnites et les chiites, mais de plus en plus d’acteurs y croient. Il est assez frappant de voir combien les mouvements anti-Houthis ont applaudi l’intervention saoudienne, quand bien même ils se placent dans une logique nationaliste yéménite, qui a toujours été critique des interventions étrangères.
L’opération comprend pour le moment des frappes aériennes, mais des troupes au sol ne sont pas exclues. Est-ce que l’Arabie saoudite en a les moyens et qu’est-ce que cela impliquerait ?
L’Arabie saoudite aurait sans doute les moyens sur le papier, on a parlé également d’une implication égyptienne. Les Egyptiens ont manifestement aussi menacé aussi d’envoyer des troupes au sol. L’implication technique serait, je pense, difficile pour les fantassins, non seulement parce qu’il y a des antécédents historiques d’intervention, notamment égyptienne dans les années 1960 qui s’était soldée par une réelle catastrophe pour les Egyptiens, mais également car la faible connaissance du terrain poserait un grand nombre de difficultés face aux Houthis. Dans le même temps, les Saoudiens peuvent compter sur un certain nombre d’alliés au Yémen, aujourd’hui, qui pourraient eux avancer et reprendre la main face aux Houthis. Il reste aux Saoudiens une carte, qui est de mettre en avant justement ce lien qu’ils peuvent tisser avec des acteurs yéménites pour sortir, un petit peu, par le haut de cette crise.
Et eu égard à la situation en Irak et en Syrie où il n’y a pas d’implication au sol de la coalition, qu’est-ce qu’on pourrait penser de cette opération au sol qui aurait éventuellement lieu sur le territoire yéménite ?
Cette intervention au sol reste très largement hypothétique. Je pense que les Saoudiens eux-mêmes, comme ailleurs dans la région, se rendent bien compte que leurs ressources sont limitées. Ils ont donc tout intérêt à, d’une certaine manière, laisser en première ligne des acteurs locaux pour faire le travail. Il reste que la comparaison entre l’Etat islamique où l’on n’intervient pas au sol et puis les Houthis où l'on intervient au sol est assez compliquée à justifier. Dans le sens où les Houthis, certes, ont une idéologie forte qui peut être très anti-saoudienne, mais le niveau de violence qu’ils ont exercée jusqu’à présent n’a rien à voir avec celui de l’organisation Etat islamique.
On n’est pas non plus dans le même rapport de force ?
Tout à fait, on n’est pas dans le même rapport de force et il est assez étonnant de voir aujourd’hui les Etats-Unis et les Britanniques apporter leur soutien à cette opération qui, moi, me semble assez peu constructive.