RFI : Une ville prise par la force par les séparatistes, ça veut dire que les accords de Minsk n’ont servi à rien ?
Mathieu Boulègue : En tout cas sur une partie des accords, sur le cessez-le-feu, l’arrêt des hostilités, le retrait des armements lourds, c’est vrai que pour l’instant ces premiers points du document en treize points ne sont absolument pas respectés. Il faut savoir que la reprise de la ville de Debaltseve était une des conditions du président Poutine lors des négociations, mais qui n’avait pas été reprise lors des discussions. Le président Poutine n’ayant pas obtenu ce qu’il voulait diplomatiquement, il utilise des stratégies de subversion parallèles pour obtenir ce qu’il souhaite.
De toute façon, ce cas de Debaltseve n'avait pas été vraiment réglé avec les Occidentaux ?
C’était un point stratégique qui servait de point de départ pour essayer de sécuriser l’accès au site du crash du MH17 à l’été 2014. C’était devenu ensuite un point de contention majeure après la prise de l’aéroport de Donetsk, que les rebelles avaient repris. Et c’est vrai que la prise de Marioupol n’ayant pas eu lieu, les troupes se sont repliées sur des bases clivées comme corridor stratégique. Ce qui permet une unification des territoires entre Donetsk et Lougansk.
Marioupol est l’un des principaux objectifs et l’un des futurs objectifs des séparatistes maintenant ?
C’en est un, mais très honnêtement on en parle tellement depuis quelques semaines que je vois très mal le Kremlin intervenir là où c’est prévisible. Je vois plutôt de la déstabilisation dans des villes comme Dnipropetrovsk, comme Kharkiv, voir même Odessa, un peu plus loin sur la côte, plutôt que Marioupol. On en parle tellement que cela devient trop facile.
On se dirige vers un élargissement encore de ce conflit ?
Tout va dépendre de la façon dont les accords de Minsk 2 tiennent et quel est l’objectif final de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine, notamment par rapport à la réaction des Occidentaux. On a beaucoup parlé de la question des ventes d’armes, on a beaucoup parlé de la question de l’Otan et de la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. La Russie pourrait faire repasser le conflit ukrainien dans une phase chaude d’hostilités jusqu’à ce que l’on repasse à Minsk 3, à Minsk 4 s'il le faut.
La stratégie des rebelles est finalement la politique du fait accompli ? On essaie de gagner le maximum de terrain pour influencer les futurs accords ?
Tout à fait. C’est un fait accompli d’autant plus que Minsk 2 est un échec total et un camouflet pour l’Ukraine qui a été obligée de plier aux conditions posées sur la table par la Russie. Notamment la reconnaissance implicite de l’existence des territoires et des leaders séparatistes comme des autorités quasi légitimes. Moscou ayant gagné sur ce point, l’Ukraine est obligée d’accepter un fait accompli qui devient inéluctable pour Kiev.
Vladimir Poutine a encore de l’influence sur ces rebelles ?
Oui. Il est difficile de savoir exactement quelle est la marge de manœuvre que les séparatistes peuvent avoir par rapport à la politique du Kremlin. Je ne pense pas que le président Poutine gère 100 % de ce qui se passe sur le terrain, en tout cas personnellement. Mais disons qu’il y a une concordance, une collusion d’intérêts entre les séparatistes et la politique du Kremlin.
Est-ce que l’on peut parler d’un échec pour l’Union européenne, pour la diplomatie européenne ? Cette fois les Européens semblent hausser le ton après cette prise de Debaltseve, mais ça ne va pas encore très loin ?
Depuis novembre 2013, les Occidentaux cherchent à hausser le ton, mais on voit bien, on n’a pas beaucoup de marge de manœuvre ni d’influences. Les derniers accords ont montré effectivement une tentative de reprise en main du conflit, non pas par l’Union européenne, mais par le truchement de la chancelière allemande et du président français. Ce n’est pas une action européenne.
Est-ce que cela va pousser les Américains à s’impliquer davantage ?
C’est une bonne question dans le sens où l’implication américaine pour l’instant, on l’a vu plutôt en sous-main, de manière un peu cachée. On en a eu une espèce d’éruption médiatique avec cette question de vente d’armes. Je ne pense pas que ce soit une bonne façon pour les Américains de s’afficher, ça risquerait de provoquer encore plus le courroux de Moscou si l’Otan, les Américains, vendaient réellement des armes à l’Ukraine, surtout quand on est techniquement dans une phase de négociations diplomatiques et qu'on se dirige vers un cessez-le-feu hypothétique.
En parlant de l’Otan justement, il y a une réunion des ministres européens de la Défense aujourd’hui en Lettonie avec le Secrétaire général de l’Alliance Atlantique, ne serait-ce que pour prévenir d'autres initiatives russes ou pro-russes, dans l'est de l'Europe comme dans les pays Baltes par exemple ?
Tout à fait. C'est en lien avec la mise en place d’une nouvelle force, un fer de lance d’intervention rapide qui devrait être mise en place rapidement. C’est aussi une façon d’énerver la Russie dans le sens où on continue à placer les gages pro-occidentaux, pro-Otan, lorsque Moscou estime être son étranger proche, c'est-à-dire une zone au sein de laquelle le Kremlin estime avoir un droit de regard privilégié. C’est une forme de reconfrontation, c’est une forme de reconsolidification de bloc, type Guerre froide que l’on pensait éteint depuis 1991.