Toute la structure financière de l'économie turque semble fragilisée par le bras de fer entre la rue et le pouvoir central. La Bourse accuse le coup, les taux d'intérêts des obligations publiques bondissent et la lire turque s'affaisse en dépit du soutien de la Banque centrale. Pourtant l'économie turque paraît solide. La croissance, un peu en repli cette année, est soutenue depuis dix ans, déficit et dette publiques sont maîtrisés et la Bourse est l'une des plus attractives des pays émergents. On parle volontiers de ce pays comme de la Chine de l'Europe. Cette économie florissante a pourtant une face sombre, révélée cette semaine par les voyants à l'orange : pour financer les usines, les centres commerciaux, les complexes hôteliers qui poussent comme des champignons, Ankara dépend en grande partie du financement extérieur. C'est son talon d'Achille. Attirés par les rendements stupéfiants des marchés locaux, les capitaux ont déferlé sur la Turquie, mais ils pourraient bien refluer encore plus vite.
Le gouvernement est-il conscient des risques d'éclatement de cette bulle financière ?
Le gouvernement d'Ankara surveille sans doute tous ces indicateurs car le pays a connu récemment deux cuisantes crises financières, en 1993, puis en 2001. Maintenant il est aussi responsable de la formation de cette bulle. Elle a été alimentée d'abord par les projets pharaoniques des autorités. La construction d'un centre commercial sur la place Taksin qui a provoqué la contestation de la rue fait justement partie de ces investissements fortement dépendants des capitaux étrangers. C'est d'ailleurs pourquoi un coup d'arrêt au projet pourrait être interprété par les investisseurs comme la fin des placements rentables auxquels ils ont pris goût.
C'est vrai aussi que ces investisseurs versatiles pourraient lever le camp pour d'autres raisons. Les montagnes de capitaux flottants qui enivrent la Turquie ont été générées par la politique d'assouplissement monétaire pratiquée par les grandes banques centrales occidentales. Le patron américain de la Fed finira bien par siffler la fin de cette politique d'argent facile, c'est de plus en plus dans l'air du temps. Les centaines de milliards de dollars investis en Turquie ou dans d'autres pays émergents pourraient alors regagner très vite les marchés américains redevenus profitables.
Les protestations de la rue pourraient déboucher sur une crise économique ?
Il suffit d'une étincelle pour provoquer une belle pagaille sur les marchés. La crise politique peut être un détonateur. Maintenant Recep Erdogan a de bons atouts dans sa manche. D'abord une Banque centrale assise sur une réserve de 100 millions de dollars qui lui permettront d'agir en cas de crise. Et puis un électorat d'entrepreneurs conservateurs qui ne demandent pas mieux que de continuer cette course en avant.