La trace du compte ouvert par Jérôme Cahuzac en Suisse laisse penser que Singapour est le nouveau paradis des fraudeurs. Après avoir fermé son compte à l'UBS à la fin de l'année 2000, l'ancien ministre du budget a ouvert un nouveau compte dans une autre banque suisse, Reyl et Cie. En 2010, il le ferme et transfère l'argent à Singapour. Pourquoi cette décision en 2010 ? Eh bien parce qu'il n'a pas échappé au président de la commission des finances de l'époque que la France a signé en 2009 avec la Suisse un avenant à la convention fiscale prévoyant des échanges d'informations entre les administrations des deux pays. C'est la grande époque de la lutte contre le secret bancaire menée dans le cadre du G20. C'est à ce moment-là qu'un grand nombre d'évadés fiscaux français, quelques milliers, jouent le jeu de la transparence, rapatrient leur argent dans l'Hexagone moyennant une amende adoucie. Parmi ces repentis, témoigne un avocat qui a traité des centaines de dossiers, on retrouve tous les profils, du richissime héritier au haut fonctionnaire en passant par le chef d'entreprise, mais pas un seul élu de la République. Jérôme Cahuzac ne sera pas l'exception qui confirme la règle, il décide alors de transférer son argent à Singapour.
Sa banque l'a peut-être encouragé à choisir ce havre car elle dispose d'une succursale sur place, il suffit d'un simple mail pour réaliser l'opération. En revanche, l'évolution du contexte juridique aurait dû alerter ce client si attaché à la discrétion, car Singapour comme la Suisse a signé en 2009 avec Paris un avenant prévoyant l'échange d'informations fiscales. Un observateur attentif de l'évolution des législations fiscales s'étonne que les banquiers aient fait de telles propositions à leurs clients. Peut-être ont-ils compté sur la réputation de Singapour. Un pays qui enverrait les informations à la vitesse du pédalo, plaisante un autre bon connaisseur des paradis fiscaux. Or d'après une enquête effectuée par les services de l'OCDE qui sera publiée dans les tous prochains jours, contre toute attente, Singapour fait partie des pays qui répondent rapidement à la plupart des demandes qui lui sont faites.
Singapour n'est donc pas le nouveau havre fiscal supposé ?
Cette évolution était attendue, peut-être espérée par une partie des opérateurs spécialisés dans ce type de finance et bien sûr par leurs clients. Après les engagements du G20, la réglementation est devenue de plus en plus restrictive en Europe, comme en témoignent les différents avenants signés par la France. Il y a deux ans, PriceWaterhouseCoopers joue les prophètes et annonce que la Suisse cèdera logiquement la première place du podium des places financières à Singapour en... 2013. Or on constate que la confédération reste numéro un. En partie parce que Singapour a décidé de jouer le jeu de la transparence. Mais aussi parce que les banques se sont adaptées. Les Suisses ont bien senti le vent tourner et ont ouvert des succursales... à Singapour. Les liens entre les deux places financières sont de plus en plus étroits, le premier actionnaire d'UBS est le fonds souverain GIC de Singapour. Maintenant si les deux pays font preuve de bonne volonté avec les percepteurs sourcilleux, les stratégies de contournement pour échapper aux contrôles ont aussi prospéré. Le plus courant étant le trust, c'est un contrat passé entre un donateur qui confie son argent au trustee, son représentant, qui lui transmet les capitaux au bénéficiaire qui n'est bien souvent autre que le donateur. Ces pratiques ont encore de beaux jours devant elles. Pour la Suisse, comme pour Singapour, qui de fait, se sont alliés, il faut sur ce terrain là être au moins aussi compétitif que Hong Kong, l'autre grande place financière qui monte en Asie.