Se soucier d'une meilleure répartition des revenus, c'est reconnaître implicitement que les inégalités sont trop criantes. Or, sur ce point, les autorités chinoises ont pendant longtemps gardé un silence absolu. L'avant dernière information officielle sur le niveau des inégalités remonte à l'année 2000. Et puis, plus rien pendant plus de dix ans.
En décembre dernier, un institut de recherche relevant de la Banque centrale a enfin publié son évaluation, et la nouvelle a fait l'effet d'une petite bombe. Les chercheurs pékinois ont utilisé le seul outil statistique reconnu dans le monde entier : le coefficient de Gini, compris entre 0 et 1. Quand il est de 0, cela veut dire que tout le monde gagne la même chose, que la société est égalitaire ; quand il est de 1, cela veut dire qu'une personne rafle tous les revenus, et c'est le niveau maximal d'inégalité. Lorsque ce coefficient est supérieur à 0,4, il y a des risques d'instabilité sociale.
Dans leur publication du mois de décembre, les chercheurs chinois ont estimé que pour l'année 2010, ce coefficient de Gini a dépassé dans l'Empire du milieu la barre des 0,6. Un chiffre astronomique, faisant de la Chine l'un des pays les plus inégalitaires au monde, juste derrière l'Afrique du Sud.
Comment la Chine en est-elle arrivée là ?
La Chine est passée en trente ans du stade de société globalement égalitaire et pauvre à celui d'une société plus riche en moyenne, mais avec des écarts de revenus grandissants, grâce ou à cause de son extraordinaire croissance. Explication complémentaire : l'économie grise, qui échappe au fisc chinois, profite surtout à quelques-uns. Mais ce phénomène d'accroissement des inégalités n'est pas spécifiquement chinois, il se développe partout dans le monde.
Pour certains économistes, c'est la rançon de la globalisation et de la théorie du ruissellement, chère aux libéraux et qui suppose que l'accumulation des richesses aux mains de quelques-uns bénéficie à tous, car ces richesses seraient réinjectées dans l'économie.
Or, on commence à réaliser que dans la vraie vie, les choses ne se passent pas comme prévu. La consommation des plus riches atteint vite un plafond et leurs investissements ne profitent pas forcément à l'ensemble de la communauté.
Un outil pour dégripper l’économie ?
Ce plan de réduction des inégalités comporte bien sûr une dimension sociale. Car les autorités chinoises redoutent plus que tout un embrasement de la société. Mais c'est aussi un outil pour dégripper la machine économique chinoise.
Les Chinois cherchent la meilleure recette pour conserver leur croissance endiablée, alors que leurs clients traditionnels, les Occidentaux, ralentissent leurs achats. Il faut en clair remplacer le levier des exportations par celui de la consommation. Et sur ce terrain, il y a du travail. En Chine, la consommation ne représente qu'un tiers du produit intérieur brut contre deux tiers aux Etats-Unis.
En redistribuant les revenus, les autorités espèrent bien calmer les tensions sociales et surtout donner du pouvoir d'achat à une masse plus importante pour dynamiser la consommation, le nouveau moteur de la croissance.