Le travail invisible: une énigme à mettre en lumière

Une seule journée dans l’année, le 3 avril, est consacrée au travail invisible. Même si cette journée est mondiale, c’est bien peu pour mettre en lumière cette notion, à première vue étrange, qui concerne pourtant des centaines de millions de personnes dans le monde et génère des milliards de dollars pas si virtuels que ça.

Le concept de travail invisible a été élaboré il y a une quarantaine d’années au Québec par une association féministe, l’Afeas (Association féminine d’éducation et d’action sociale). Il s’agit de faire apparaître dans l’espace public le travail non rémunéré accompli, le plus souvent, par les femmes dans leur famille, ainsi que le bénévolat en général. 

Invisible, mais indispensable

Ces activités invisibles incluent les tâches ménagères, l’éducation des enfants, les soins aux personnes, tout autant que le travail effectué dans l’entreprise du conjoint. Dans les pays du tiers-monde, le travail invisible, essentiellement celui des femmes, englobe le transport de l’eau, la production agricole et artisanale liée à la survie de la famille.

On qualifie ce travail d’« invisible » parce que sa valeur est généralement ignorée dans les comptes nationaux par exemple le produit intérieur brut (PIB). En occultant cette contribution, cela permet ni vu, ni connu, de nier son importance.  

Si cette énorme masse de travail reste invisible aux yeux des comptables qui nous gouvernent, elle n’en a pas moins un poids financier conséquent. L’ONU évaluait en 1995 à 11 000 milliards de dollars américains la valeur du travail invisible et non rémunéré des femmes à l’échelle mondiale.

Beaucoup de travail, peu de salaire

Plus tôt, l’organisation mondiale estime au début des années 1990, toujours à l’échelle mondiale, que les femmes accomplissent 67 % des heures de travail, gagnent 10 % du revenu mondial et constituent les deux tiers des analphabètes. Elles possèdent moins de 1 % des propriétés dans le monde. Selon l’Afeas, en 2006, plus de 41 % des femmes sont vulnérables parce qu’elles sont pauvres et sans famille.

L’association est parvenue en 2001 à faire de sa lutte pour la reconnaissance du travail invisible, une journée officielle au Québec, reprise au Canada en 2010 avant de devenir mondiale. En France, quelques études se sont attachées à évaluer cette fameuse part invisible du labeur.

Trois cents milliards d’euros

Selon celle de Delphine Roy de l’Insee, publiée en 2012 et qui s’est concentrée sur les tâches domestiques, si cette activité (largement féminine) était rétribuée au même titre qu’une activité professionnelle, elle compterait pour un tiers du PIB de la France ! Soit environ 300 milliards d’euros a calculé la chercheuse, de quoi reprendre le slogan de l’Afeas : « Le travail invisible, ça compte ! ».  

L’autre face du travail invisible est constituée par le bénévolat. Selon l’Insee, entre 12 et 14 millions de Français exercent une activité non rémunérée au sein de plus d’un million d’associations que compte l’Hexagone.

Cette participation aux activités les plus diverses, représente quelque 1,3 milliard d’heures d’intervention par an, soit 820 000 emplois équivalents temps plein (ETP). Si on rémunérait ces heures de travail, l’Insee évaluait en 2004 que cela coûterait entre 12 et 17 milliards d’euros, soit environ un point de PIB.


Inde : quand la collecte de l'eau devient un travail familial

En Inde, le PNUD estime que le travail invisible représente l’équivalent de 39 % du PIB. Il concerne notamment la collecte de l’eau. A Bombay, deuxième plus grande métropole du pays, plus de la moitié de la population vit dans des logements informels où le simple fait de se ravitailler en eau peut devenir un vrai travail familial.  

Avec notre correspondant à Bombay, Sébastien Farcis

Les 3 000 habitants du bidonville de Sakhe Nagar, dans le nord de Bombay, ont récemment obtenu une connexion d’eau de la mairie. Les tuyaux zigzaguent dans les petites allées. Mais le précieux liquide circule pour deux heures seulement, et chaque pompe est partagée entre onze foyers.

Les femmes doivent donc faire la queue pour être à l’heure, confirme Jyoti, la cinquantaine, les yeux rivés sur une horloge : « Nous avons le droit de pomper pendant 10 minutes chacun, et pas 30 secondes de plus ! Ce sont mes filles qui le font à tour de rôle, car elles sont plus fortes et cela me fait mal aux mains. Nous arrivons à remplir jusqu’à 120 litres, ce qui est assez pour une journée, pour les neuf personnes de la maison. Parfois, l’eau coule même plus longtemps que deux heures, donc nous repartons pour un tour ! »

Les femmes assignées à cette tâche perdent plusieurs heures par jour pour cette collecte. Mais avant l’installation de ces pompes, elles devaient acheter leur eau aux vendeurs privés, ce qui était plus cher et leur prenait au moins la demi-journée.

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