Avec notre envoyé spécial à Saint-Brieuc, Pierre Olivier
Après Cooperl, c’est le groupe Bigard-Socopa qui a annoncé son absence au marché au cadran de jeudi matin. Ce sont donc les deux plus importants acheteurs de porcs bretons qui refusent de venir fixer le prix de la viande. Dans les jours qui viennent, ils continueront à acheter du porc, oui, mais à leurs éleveurs référents et non plus aux indépendants.
Cooperl, par exemple, passera de 110 000 à seulement 100 000 porcs achetés chaque semaine. Au total, ce sont entre 20 et 25 000 cochons qui resteront invendus et dont les éleveurs devront continuer à s’occuper dans leurs exploitations, et cela engendrera des surcoûts.
Mais ce qui inquiète plus les producteurs, c’est le dénouement que prendra cette crise. Tous l’affirment, ils ne pourront pas tenir sans cotation jusqu’à la table ronde promise fin août par le ministre de l’Agriculture. Dès jeudi matin, à Plérin, une réunion est prévue à huis clos entre les différents syndicats de la filière. Ce sera ensuite l’ouverture de la salle de marché au environ de 10h, une salle qui pourrait bien rester totalement vide. Le président de la FNSEA affirme qu'une absence prolongée de cotation serait une « catastrophe ». Il réclame « d'urgence » une réponse européenne à cette crise.
Les abattoirs se rebiffent
Les abattoirs français subissent non seulement un prix duporc plus élevé qu'en Allemagne, en Hollande, en Belgique ou en Espagne, mais ils doivent aussi supporter des coûts de main-d'œuvre plus importants, or l'abattage est une activité qui nécessite beaucoup de personnel. « Il y a beaucoup de travail lorsqu’un porc est sur pied pour l’abattre, le découper, le transformer en pièces, le charcuter, le transmettre en barquette puis le commercialiser », explique Christiane Lambert, la vice-présidente de la FNSEA, le premier syndicat agricole français.
En France le niveau de rémunération dans les abattoirs est de 15 à 18 euros de l'heure, quand il est de 6 à 8 euros en Allemagne et en Espagne, sans compter la différence de charges patronales – l'écart serait alors au total de 12 euros de l'heure, selon les abattoirs Bigard. L'Allemagne et l'Espagne emploient en effet des travailleurs détachés d'Europe de l'Est – roumains, bulgares, tchèques –, rémunérés selon les lois du pays d'origine, ce que permet la législation européenne, mais qu'interdit en France la convention collective qui régit les abattoirs.
Les industriels de l'abattage demandent qu'on mette fin à cette distorsion de concurrence. En attendant, ils jugent que le prix français du porc, désormais 20 à 40 % plus élevé que dans les pays voisins, est intenable. Ils attendent une baisse pour rejoindre le marché du porc breton, qui ne reflète pas, selon eux, la réalité de l'offre et de la demande de cette viande.
■ 60 millions de porcs produits chaque année en Allemagne
Avec notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut
Le Speckgürtel, la ceinture de la graisse. Dans cette région du nord-est de l'Allemagne, le cochon et, plus globalement, l'élevage et l'abattage industriels sont rois. Des entreprises de grande taille, après une forte concentration du secteur, et très modernes expliquent pour une large part le développement massif de l'agroalimentaire allemand ces dernières années avec des exportations qui ont dépassé celles de la France en 2007. L'Allemagne produit 60 millions de porcs par an, soit trois fois plus que l'Hexagone. Plus de 80 % de la viande exportée l'an dernier l'a été vers les pays de l'Union européenne, dont la France ou les Pays-Bas.
Hormis les économies d'échelle, ces abattoirs industriels profitent d'une main-d'œuvre meilleure marché. Certes, un salaire minimum de 8 euros de l'heure a été introduit en décembre dernier. Mais les nombreux sous-traitants qui utilisent beaucoup d'Européens de l'Est trichent souvent avec des loyers surélevés ou des dépenses de transport pour les ouvriers, diminuant leur salaire officiel, sans compter des heures supplémentaires non payées. Autre différence expliquant les avantages de coûts de la filière porcine allemande, des normes environnementales moins contraignantes qu'ailleurs.