RFI : L’ancien ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg n’a eu de cesse de remettre en cause les politiques d’austérité menées en Europe. Pour l’Allemagne est-ce que sa démission est une bonne nouvelle ?
Marc de Scitivaux : Je pense que c’est une bonne nouvelle. Le problème d’Arnaud Montebourg, c’est qu’il ne propose pas une politique alternative. Lorsqu’on dénonce l’austérité, cela veut tout simplement dire que l’on voudrait continuer le système ancien qui consiste à distribuer des pouvoirs d’achat par l’endettement continuel. Or c’est une politique qui s’est arrêtée depuis plusieurs années. A partir du moment où la Grèce a fait défaut, si on peut dire, et où il est apparu clairement que l’on n’était plus prêt à prêter à la Grèce.
C’était un signal d’alarme donné à tous les pays d’Europe qui continuaient à dépenser plus que ce qu’ils gagnaient. Donc, il n’y a pas d’autres solutions que d’essayer de revenir dans les coupes budgétaires. Donc, il est évident que l’Allemagne est contente que quelqu’un qui n’a pas de compétences particulières en économie et qui essaye surtout de se faire une carrière politique, en flattant les Français, puisse être maintenant éliminé de ce gouvernement.
Mario Draghi qui préside la BCE, qui est aux Etats-Unis, a pourtant plaidé pour un changement profond de politique européenne. Il y a un risque de déflation, on le sait et il propose d’utiliser la « la flexibilité des règles budgétaires ». N’est-ce pas une position qui se rapproche de ce que prône Arnaud Montebourg ?
Non pas du tout. Ca a l’air à voir comme çà. Je ne suis d’ailleurs moi-même pas du tout contre des politiques budgétaires plus souples. Le seul problème, c’est de savoir ce qu’on en fait. Je comprends très bien que vous puissiez, les Anglais, les Américains l’ont fait, avoir des déficits budgétaires importants qui vous permettent, en même temps de faire les réformes structurelles qui vous donneront la compétitivité future. En ce qui concerne les Etats-Unis, ils se sont permis de forts déficits budgétaires, mais qui ont été accompagnés, pendant la même période, d’un très fort taux d’investissement des entreprises. Ce sont elles qui ont créé 8 millions et demi d’emplois sur les quatre dernières années.
Mais vous ne pouvez pas distribuer un argent que vous n’avez pas. Et vous ne pouvez pas utiliser la souplesse budgétaire sans faire de réformes. Quand monsieur Draghi parle, il sait de quoi il parle parce qu’il parle en même temps pour un gouvernement, qui est le gouvernement Renzi qui a mis en oeuvre des mesures de réformes. Mais je n’ai pas entendu que monsieur Montebourg propose de réduire le nombre de fonctionnaires ou de baisser leur salaire, de ramener l’âge de la retraite des régimes privilégiés et même l’ensemble des retraites françaises à 67 ans.
Arnaud Montebourg dit « écoutez, arrêtons d’être sérieux », si je peux dire « distribuons un argent qu’on n’a pas ». Mais il faut bien comprendre qu’attaquer de front l’Allemagne, signifie autre chose. Cela veut dire arrêter de profiter des taux allemands. Si nous pouvons arriver à financer une dette qui maintenant est égale à 100% de notre PIB à des taux très bas, c’est parce que, peut-être à tort d’ailleurs, l’épargne internationale continue à faire confiance à la France pour ne pas rompre avec le sérieux allemand. Si nous mettions en œuvre la politique d’Arnaud Montebourg, dès le lendemain cette crédibilité disparaissant, nos taux d’intérêt pourraient monter de 100, 200, 300 points. C’est tout à fait envisageable Ca veut dire trois points de plus de déficits budgétaires pour rien, cette fois-ci, car c’est le coup de la dette qui augmente, mais ça ne sert à rien. Faire du déficit pour baisser les impôts sur les entreprises et espérer renouer avec la compétitivité, c’est une chose. Mais avoir un déficit qui se creuse uniquement parce que le coup de votre dette augmente, alors çà c’est suicidaire et idiot !
Que signifie le slogan de Montebourg : « il faut acheter français » ?
Ca ne signifie rien du tout. Ca vaudrait quelque chose dans un monde fermé, mais nous vivons dans un monde ouvert. Nos concitoyens sont quand même relativement contents, je pense, de pouvoir avoir accès à des vêtements à bas coûts. Il faut bien comprendre que si d’un seul coup on fermait nos frontières avec la Chine, le prix des vêtements augmenterait de 20 à 30%.
L’important n’est pas de savoir si on achète Français mais surtout, l’important est de savoir si quand vous achetez un produit étranger, l’argent que vous allez investir revient en France d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement. Quand nous achetons des vêtements chinois, il ne faut pas oublier que les Chinois au même moment, achètent du Cognac français ou du Champagne français.
Ce qu’il faut, c’est être compétitif sur le plan international parce que vous ne pouvez pas, comme ce que propose Arnaud Montebourg, faire la politique de la demande, c'est-à-dire redistribuer du pouvoir d’achat que vous n’avez pas gagné. Mais si vous n’êtes pas compétitif, à moins de fermer vos frontières, ce pouvoir d’achat va être versé à l’étranger. D’ailleurs nous l’avons vu, ce sont des exemples récents, chaque fois qu’il y a eu des primes à l’automobile, qu’est-ce qui a « boomé » c’est l’achat des voitures étrangères. C’est se tirer un coup de fusil dans le pied, car d’une part vous augmentez votre dette et d’autre part vous augmentez les achats étrangers.
Quelle marge de manœuvre a François Hollande à Bruxelles avec Angela Merkel qui défend toujours l’austérité ?
Il aurait une certaine marge de manœuvre s’il faisait comme monsieur Renzi, c'est-à-dire s’il était crédible. Bruxelles n’est pas méchant avec nous. Il est clair que nous allons avoir plus de 4% de déficit budgétaire à la fin de l’année et je ne suis pas convaincu que nous aurons des sanctions. Simplement, vous pouvez faire du déficit budgétaire si en même temps vous montrez clairement une volonté de réforme. Lorsqu’on parle de réformes, ça veut dire, et il faut bien que le Français le comprennent : allonger l’âge de la retraite, supprimer les statuts privilégiés des retraités, réduire le RSA, le RMI, augmenter ce que les Français payent pour leur santé quand ils vont chez le médecin, et ainsi de suite… Ce sont des réformes dont je ne suis pas convaincu que la société française est prête à accepter le prix, mais il n’y a pas d’autres solutions.