Sous la houlette de Jean-Claude Trichet, la Banque centrale européenne a gagné en densité. Son rôle avait fait l'objet d'importantes divergences entre Paris et Berlin. Mais finalement, les experts s'accordent à dire qu'elle a bien rempli son rôle premier, celui de garant de la stabilité des prix.
« La BCE a un bilan impeccable quant à la lutte contre l’inflation », souligne Nicolas Véron, économiste à l'institut Bruegel à Bruxelles. « L’inflation est restée dans les limites souhaitée par la BCE et de manière très stable ». Le mandat a été rempli : en moyenne, l'inflation était de 2% dans la zone euro au cours des huit dernières années. Aujourd’hui, il manque une chose essentielle : la croissance.
Pour la croissance, contre le chômage
La première tâche qui attend Mario Draghi sera évidemment de sortir la zone euro de la crise de la dette. Il faut garantir la dette des pays de l’Europe du Sud. Mais il faudra également relever d’autres défis. A peine 1,5% de croissance en moyenne durant les huit dernières années en Europe, ce n'est pas suffisant pour faire face à la crise. Est-ce qu’on aura une croissance médiocre avec la hausse du chômage ?
En outre, le fossé s'est approfondi entre les pays de l'Europe du Nord, et les pays du Sud. La question se pose donc aujourd’hui sur la réorientation du système financier en Europe. « Il faut absolument empêcher sa domination sur les politiques économiques », estime Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques. « Est-ce que Mario Draghi est le mieux placé pour cette tâche, nous le verrons très vite ».
Le vieux démon
Il faudra de l'énergie au nouveau gouverneur pour coordonner la lutte contre la contagion de la crise de la dette. Mais aussi du courage, car son vieux démon, Goldman Sachs, pourrait se rappeler à lui. Vice-président de la banque américaine de 2002 à 2005, Mario Draghi est soupçonné d'avoir couvert le maquillage des comptes grecs fait par Goldman Sachs quelques années auparavant, avant l'entrée de ce pays dans la zone euro.
Le verdict de Marc Roche, auteur du livre La banque : comment Goldman Sachs dirige le monde, est sans complaisance : « C’est le plus grand exemple de conflit d’intérêt ». Le nouveau gouverneur rejette sèchement ces critiques, mais ne peut les ignorer.
Vers plus de gouvernance économique
De ses années passées aux Etats-Unis, Mario Draghi a ramené une approche volontariste des problèmes. Il reste persuadé qu'en temps de crise, il faut employer des moyens « non conventionnels », ce qu’il a déclaré suite au sommet européen de Bruxelles le 26 octobre 2011.
Mais à ce stade, la BCE a déjà dépassé ses prérogatives en rachetant la dette des pays en difficulté. On l’a d’ailleurs reproché au gouverneur sortant, Jean-Claude Trichet. Il est évident qu’à l’avenir, il faudra élargir le mandat de la BCE pour aller vers plus de gouvernance économique en Europe.
Mais le moment est mal choisi. Il faudra sans doute réécrire les traités européens. Ce qui n’est pas une mince affaire, car chaque changement nécessite un référendum des peuples. Or, pour Henri Sterdyniak : « Il sera difficile de demander aux peuples plus d’Europe actuellement. Car l’Europe n’a pas un bon bilan en ce qui concerne la croissance et le chômage ».
Si la gouvernance économique et financière en Europe n'est pas pour demain, la question des euro-obligations revient régulièrement. L'idée est défendue par plusieurs dirigeants européens. Ces eurobonds, comme on les appelle couramment, pourraient financer de grands chantiers, effaçant au passage l'impression que la construction européenne ne rime qu'avec austérité.