La crise dans la zone euro a renforcé la conviction des Européens qu'il vaut mieux avoir un ami à Washington. Et la ministre française de l'Economie, Christine Lagarde, a démontré ses talents de négociatrice. Elle sait écouter et se faire écouter, on l'a vu durant sa campagne mondiale pour le poste de directeur général du FMI. Mais malgré ses indéniables qualités, la Française « n’a pas une formation d’économiste, la matière dont s’occupe le Fonds monétaire international n’est pas son domaine d’expertise », remarque Charles Wyplosz, professeur d'économie à l'Institut des hautes études internationales et du développement à Genève.
Paradoxalement, le fait de connaître les dossiers européens auxquels le FMI a apporté son aide pourrait se retourner contre la candidate française. On pointe notamment un possible conflit d’intérêts.
La menace de la Cour de justice française
Mais le vrai « talon d'Achille » de Christine Lagarde reste l'affaire Tapie. Il est question de la gestion jugée controversée d'un litige entre Bernard Tapie, l’homme d’affaires, et le Crédit lyonnais. On reproche à Christine Lagarde d'avoir fait appel à une justice arbitrale privée, au détriment de l'Etat et du contribuable français.
D’après Thomas Clay, professeur de droit et doyen de l'université de Versailles, malgré la conviction de l'intéressée, cette procédure pourrait constituer une certaine menace pour la candidature française au moment du vote par le Conseil d’administration du FMI, et aussi plus tard : « Il est probable que le renvoi possible de Christine Lagarde devant une haute instance juridique de son pays pourra, en effet, peser lourd sur l’exercice de ses futures fonctions ».
Pourtant le FMI n’a pas été dirigé que par des économistes. Les années que Christine Lagarde a passé à Bercy ont montré que la ministre sait très bien assimiler les analyses que lui donnent ses collaborateurs. Et, c’est bien connu, il y a d’excellents collaborateurs à Washington.
Les émergents veulent la place
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le FMI est une chasse gardée des Européens, la Banque mondiale revenant aux Américains. C'est une convention non-écrite, jugée obsolète, et même « scandaleuse » par les pays émergents. Exaspérés, les Brics veulent enfin prendre les rênes d'une grande institution internationale. Mais ils ont du mal à accorder leurs violons.
Pour Christophe Destais, directeur adjoint au Centre d’études prospectives et d’informations internationales, les grandes puissances émergentes n’occupent pas au sein du FMI la place qui leur revient. En revanche, « leur degré d’ouverture aux échanges internationaux est très variable. La plus avancée étant la Chine, avec ses réserves de près de 3 000 milliards de dollars de change ». Et c’est aussi la Chine qui nourrit des ambitions monétaires internationales, avec un début d’internationalisation de sa monnaie, le Renminbi (RMB).
« Une partie du jeu monétaire international se joue dans le dialogue direct entre la Chine et les Etats-Unis. Le FMI est un pion dans cette partie de ping-pong à laquelle les autres émergents ne sont pas invités ».
Face à Christine Lagarde, deux adversaires déclarés : Agustin Carstens, le Mexicain, et Grigori Marchenko, le Kazakh, tous les deux à la tête des banques centrales de leurs pays.
Le Conseil d’administration du FMI, composé des représentants de 24 pays ou groupes de pays, compte désigner son directeur général d'ici le 30 juin.
Vendredi après-midi 10 juin, Christine Lagarde s'est déclarée « confiante » dans sa possible nomination à la tête du FMI malgré le report de la décision de la justice française concernant l'affaire Tapie.