Douarnenez: avec son roman «Gabacho», Aura Xilonen démolit les frontières

Le festival de cinéma de Douarnenez, qui fête cette année ses quarante ans, continue à gratter les plaies ouvertes ou cachées de nos sociétés ici ou ailleurs. «Les frontières», thème retenu pour ce nouveau cru et souvent évoqué lors de précédentes éditions, est au cœur de la dramatique actualité des migrations en Méditerranée, des tensions au Proche-Orient ou de la rhétorique nationaliste du président Trump aux Etats-Unis sur la question des migrants et en particulier ceux qui viennent du Sud du Rio Grande. Aura Xilonen, toute jeune et prometteuse écrivaine mexicaine invitée par le festival, a apporté sur ce sujet un regard d'une fraîcheur et d'une générosité bienvenues à tous égards.

Elle se déclare intimidée de participer à des tables rondes sur la question des migrants au milieu d'universitaires et d'experts ad hoc, elle toute jeune femme de lettres qui n'a « que » son expérience de plume pour curriculum vitae et son regard « juvénile » à partager. Invitée de la Journée littérature jeudi, Aura Xilonen est l'auteur du roman Gabacho, sorti en début d'année (aux éditions Liana Levi) en France et déjà remarqué comme l'œuvre d'un auteur décidément à suivre.

Elle y raconte l'histoire de Liborio, adolescent mexicain émigré aux Etats-Unis et ses espoirs de s'en sortir, de se construire une vraie vie, lui qui est « né mort », explique-t-il au début du roman. Une œuvre foisonnante et très visuelle, construite plan par plan, personnage après personnage, réfléchie de bout en bout - Aura pensait au départ en faire une trilogie- qui s'inscrit dans la grande tradition du roman picaresque ou du roman d'initiation, portée à l'incandescence par l'inventivité lexicale de l'auteur qui a dû donner bien du souci à sa remarquable traductrice !

Une langue foisonnante

Une langue abreuvée à toutes les sources à portée de sa jeune narratrice : internet et les réseaux sociaux qui sont son pain quotidien, les conversations avec les amis, les cours d'étymologie et d'antonymie de sa mère professeur de grec et de latin, les récits de vie de ses grands-parents -Liborio, c'est le prénom de son grand-père- , des idiomatismes du nord du Mexique, du « spanglish » parlé par les migrants qu'elle croisait dans l'entreprise de bains publics de sa grand-mère refoulés plusieurs fois des Etats-Unis, ou encore les mots inventés pour leur sonorité et leur pouvoir d'évocation et dont le lecteur invente le sens en fonction du contexte.

Une langue cosmopolite à l'image de ses locuteurs dans le roman, nourris de gré ou de force à plusieurs cultures comme le « boss », le gérant d'origine hispanique de la librairie où travaille Liborio ou encore de Liborio lui-même dont l'expression a été particulièrement travaillée et évolue au fil du récit. Aura voulait que chacun de ses héros ait son propre langage.

Et bien sûr une langue nourrie de l'extraordinaire verdeur et richesse de la langue mexicaine rompue aux jeux de mots comme les « albures », à connotation sexuelle, très imagée. Le tout donne au roman une saveur toute particulière et jubilatoire dont toute la famille de l'auteur a profité, puisqu'elle raconte en riant que le processus d'écriture a été largement commenté et enrichi par sa « tribu » au fil de l'avancée de son travail, au point qu'elle hésitait à faire relire certains passages par sa mère de crainte de la choquer...

Pas de frontières encore ici : le récit se nourrit des conseils des proches, toutes générations confondues. Et c'est d'ailleurs pendant les heures matinales où elle assurait la gestion de la caisse de l'entreprise de bains publics de sa grand-mère qu'elle se documentait et écrivait. Aura a une longue pratique de l'écriture, qu'elle travaille depuis de longues années.

En Allemagne où elle a vécu quelques années après la disparition de son père alors qu'elle était enfant, elle avait l'habitude, une forme de « devoir de vacances » obligé, de raconter à sa famille au pays, son quotidien en Allemagne. Une sorte de journal de bord électronique. Cette narration quotidienne est devenue une habitude, puis un plaisir et s'est enrichie plus tard des ateliers d'écriture de scénarios de l'université de cinéma où elle étudie.

De Facebook à Pedro Páramo

Cette écriture est intimement liée à la culture dont elle se nourrit, explique-t-elle. Celle d'une jeune fille de 19 ans alors (son âge lorsque le livre a été publié et récompensé par le prix Mauricio Achar au Mexique en 2015), qui picore à tous les râteliers sémantiques et littéraires, de Harry Potter à la littérature classique comme le Quijote de Cervantès qu'elle a dû relire trois fois parce qu'elle n'y comprenait rien ou encore à Pedro Páramo de Juan Rulfo, première oeuvre de l'auteur mexicain trop tôt disparu et roman majeur de la littérature latino-américaine contemporaine.

Pas de frontière là-encore et Aura de raconter son bonheur de voir au Mexique les enfants le nez plongé dans les aventures du petit Harry au lieu de d'être scotchés devant la télé. La lecture comme rédemption y compris pour notre héros Liborio qui se construit avec les livres qu'il découvre chez son « boss ». Ces livres qui lui paraissent si fades, si déconnectés de la vraie vie. « J'ai le cerveau qui pique comme quand j'ai commencé à lire ces putains de romans pédoques, menteurs, vomitifs. Avec leurs simagrées de lettres de grande envergure mais sans nerfs... L'embrayage a pété à force de tant de mots creux » . Liborio crache sa haine du « livre confort » pour nanti et crache sa haine de ce monde où il est si difficile de se faire une petite place au soleil.

Le migrant est aussi le symbole de l'espoir

Pourquoi avoir choisi comme héros un migrant ? Parce qu'au Mexique, la figure du migrant est le symbole de l'espoir d'une vie meilleure. Et parce que le migrant fait partie depuis le XIXe siècle, en raison des mouvements permanents de population entre les Etats-Unis et le Mexique, et de son omniprésence dans l'actualité politique, sociale et économique, mais aussi dans les représentations mentales ou culturelles, du panthéon de l'imaginaire national. « L'idée clé du roman » est l'espoir, explique l'auteur. Les épreuves que vit Liborio, qui porte imprimées sur sa peau telle un parchemin, les marques de ses galères, les coups et les brûlures, sont encore bien de deçà de ce que vivent les vrais migrants.

On peut dire, après avoir lu le récit, qu'il a son compte de mauvais coups mais que l'espoir que lui a insufflé sa créatrice lui permet, au fil du récit, une forme de rédemption. Un roman écrit aussi pour faire bouger les préjugés sur les migrants. « Mon travail est un petit grain de sable, confie Aura, mais s'il a réussi à faire évoluer le regard que l'on porte partout dans le monde sur les migrants, alors j'aurais fait un bon boulot ! » Car les frontières ne sont pas simplement physiques ou matérielles comme du fil de fer barbelé ou le fameux mur, elles sont aussi mentales. La peur de l'autre, de la différence, élève des barrières, nourrit l'ignorance et la manipulation. Un discours en parfaite symbiose avec le propos du festival de Douarnenez depuis sa création.

Le site du festival de Douarnenez

 

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