Festival Travelling: le cinéma pour raconter Tanger

Le festival Travelling à Rennes raconte chaque année les villes et leurs imaginaires par le biais du cinéma et de leurs représentations cinématographiques. Après Bruxelles, Séoul ou encore Gaza, le festival invite à un Travelling sur Tanger, une ville où de nombreuses cultures ont un temps posé leurs valises, une ville monde où des écrivains et des peintres ont posé leur machine à écrire ou leur chevalet. Une ville aussi mise en scène par des réalisateurs occidentaux et questionnée par des cinéastes marocains. C'est ce Tanger que le festival propose de découvrir jusqu'au 14 février.

Phénicienne, carthaginoise, romaine, arabe, portugaise, anglaise, espagnole, française, ville verrou stratégique sur la Méditerranée, ville franche dotée d'un statut et d'une administration internationale avant de devenir pleinement marocaine à l'indépendance en 1956, Tanger a une histoire très particulière qui explique en partie son cosmopolitisme. Son positionnement géographique faisant en partie le reste.

« Tourterelle perchée sur l'épaule de l'Afrique et faisant face à une Europe si loin si proche », écrit joliment Roland Carrée, l'un des maîtres d'œuvre de la programmation du festival. Une ville où dans la vie comme dans les films, on passe de l'arabe au français, de l'espagnol à l'anglais avec aisance. Où les religions et cultures se côtoient.

Au carrefour de plusieurs mondes, Tanger est connue pour avoir attiré peintres et écrivains. Matisse et Delacroix y ont brossé quelques-unes de leurs plus célèbres toiles. Des écrivains aussi divers que Truman Capote, les poètes de la Beat Generation américaine Kerouac et Ginsberg, Antoine de Saint-Exupéry, Tennessee Williams, Paul Morand, Roland Barthes, Jean Genet, Marguerite Yourcenar, Paul Bowles, Joseph Kessel, Beckett ou encore Pierre Loti ont fait des escales plus ou moins longues à Tanger.

Tanger est un lieu « miraculeusement important pour la littérature mondiale », selon Moumen Smihi, l'un des cinéastes tangérois invités du festival, qui présente d'ailleurs un film d'enquête sur la vie et l'œuvre de Matisse.


Le cinéma, un art très populaire

Alors Tanger, aussi une ville de cinéma ? « Tanger n'a pas accueilli un cinéma important » pour l'histoire du cinéma mondial, nous explique Moumen Smihi. C'est plutôt Marrakech qui a accueilli les tournages des plus importants comme Hitchcock avec L'homme qui en savait trop, Orson Wells avec Othello ou encore Pier Paolo Pasolini avec Œdipe roi. « Ces metteurs en scène sont les fondateurs du cinéma marocain... Ce sont de très grands metteurs en scène qui ont fait de très grands films avec les gens de ma culture... »

Les films tournés autrefois à Tanger n'ont pas imprimé leur marque dans l'histoire du cinéma mondial, mais ont fait rêver un public populaire et nourri la mythologie de la ville. « Tanger a été le lieu de grands films mythologiques : Tanger, ville de la traite des Blanches, du gangstérisme, du trafic d'armes, etc., comme Le Renard de Tanger, Guet-apens à Tanger... », poursuit Moumen Smihi. Et parallèlement, les spectateurs pouvaient aussi se régaler dans les petites salles de la médina et les beaux quartiers plus européens, de films venus du monde entier. La ville disposait à l'âge d'or entre quinze et vingt salles qui offraient aux spectateurs des films dans toutes les langues et de tous les pays : des films espagnols, mais aussi latino-américains, des films mexicains dont certains réalisés par Buñuel, argentins, français, mais aussi anglo-saxons ou encore des drames populaires égyptiens. « Dans les années 1950, cette ville qui n'était pas une colonie, qui était ouverte, proposait dans les salles de cinéma les cinémas du monde ». Une ville où encore aujourd'hui les noms des cinémas, même disparus depuis des années, servent de point de repère pour définir les quartiers, explique un autre Tangérois.

« Une ville de rêve et un rêve de ville »

Une ouverture au monde exceptionnelle. « Jamais dans une ville arabe, il y a eu cette multiplicité de salles, pas même à Alexandrie, ville comparable par son cosmopolitisme », poursuit Moumen Smihi. Et la programmation du festival Travelling rend justement compte de la manière dont le cinéma a nourri le mythe de Tanger, ville cosmopolite et littéraire. Ce sont les films comme Only lovers left alive de Jim Jarmusch, en passant par Le festin nu de Cronenberg ou Loin d'André Téchiné. Mais raconter Tanger c'est aussi explorer les archives de sa dynamique cinémathèque, découvrir les créations de ses artistes vidéastes et interroger la société tangéroise avec les films des réalisateurs invités comme Omar Mahfoudi, Faouzi Bensaïdi, Nabil Ayouch, auteur notamment de Much Loved et initiateur de la Film Industry, ou encore Hicham Lasri,  artiste pluridisciplinaire, représentatif des quêtes formelles d'une nouvelle génération de cinéaste.

Interroger une ville en mouvement perpétuel, portée par les aspirations de ses habitants, anciens et nouveaux, des femmes et de sa jeunesse et par les frustrations de ceux qui n'y trouvent plus leur place comme ces candidats au départ vers l'eldorado européen, les « brûleurs » de Leïla Kilani. Tanger la blanche, la ville labyrinthe dont il est impossible de faire un plan, n'a pas fini de faire son cinéma.

 

► Le site du festival Travelling avec sa programmation complète

► Pour aller plus loin, la revue Répliques, partenaire du festival

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